Reconnaissance d'une oeuvre majeure

par

Der Ferne Klang à Strasbourg

C‘est l’Opéra National du Rhin qui a présenté, un siècle après sa création à Frankfort, (18 août 1912) la première représentation scénique en France de « Der Ferne Klang » (Le son lointain) de Franz Schreker. C’est grâce à cet opéra que le compositeur autrichien fut reconnu internationalement.

« Die Gezeichneten » (1918) lui valut un succès de public plus vaste et « Der Schatzgräber » (1920) consacra Schreker comme l’un des chefs de l’avant- garde. Mais avec l’avènement du nazisme les opéras de Schreker disparurent du répertoire pour environs un demi-siècle. En juin 1988 La Monnaie sous la direction de Gerard Mortier présentait « Der Ferne Klang » mais c’était un spectacle handicapé par des problèmes avec le chef d’orchestre et le metteur-en-scène et qui finalement vit le début du jeune Ingo Metzmacher à la tête de l’orchestre de la Monnaie. Et une mise-en-scène « collective » ! Pas de problèmes à Strasbourg où Marko Letonja dirigeait l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans une exécution tout à fait remarquable et envoutante d’une partition d’une grande richesse. Il y a des influences (Wagner, Mahler, Debussy, R.Strauss) mais le langage de Schreker est bien personnel, audacieux et complexe avec des combinaisons étonnantes et inouïes de timbres et de rythmes et une écriture chorale impressionnante. Un grand bravo pour les chœurs de l’Opéra du Rhin, l’orchestre et le chef qui ont réussi un coup de maitre et qui nous ont fait découvrir ce « son lointain » que recherche Fritz. Pour cela le jeune compositeur (Schreker écrit lui-même le livret qui est plus ou moins autobiographique) délaisse sa fiancée Grete, jeune fille innocente qui basculera dans la prostitution. Grete et Fritz se retrouveront finalement après la déchéance complète de Grete et le fiasco de l’opéra écrit par Fritz. Avec l’apparition de Grete Fritz pense enfin avoir trouvé le son lointain et la force de composer mais la mort l’emporte.

L’Opéra National du Rhin a réuni une distribution capable de défendre l’opéra de Schreker de façon plus que convaincante. Il y avait d’abord Helena Juntunen (entendu il y quelques années comme Zdenka dans « Arabella » à l’Opéra de Flandres et plus tard comme Pamina dans « Die Zauberflöte » à la Monnaie) qui incarnait à merveille Grete, la jeune fille candide, délaissée par son amoureux, quasiment vendue par son père, au bord du suicide mais qui devient une prostituée de luxe avant de finir dans la rue. Son soprano au timbre juvénile rend tout à fait justice au personnage et triomphe de la force orchestrale. Will Hartmann campe un Fritz pas très charismatique, c’est peut-être l’intention, mais quand même émouvant à la fin et chante avec une voix de ténor plus lyrique que héroïque. Les autres rôles sont défendus avec bonheur par des chanteurs dans plusieurs emplois dont il faut mentionner Geert Smits (Le Comte Rudolf, un comédien), Stephen Owen (Dr. Vigelius, le Baron) et Stanislas de Barbeyrac (le Chevalier, un individu suspect).

Stéphane Braunschweig (mise-en-scène et scénographie) a opté pour une visualisation très (trop) sobre mais assez efficace. La première scène se joue devant le rideau de scène fermé qui s’ouvre sur un mur gris (apparemment d’une maison d’opéra) qui à son tour s’enlève pour nous montrer une forêt symbolique (jeu de quilles au lieu d’arbres pour rappeler la cause de la fuite de Grete) dans de belles lumières de Marion Hewlett. La casa di maschere, l’établissement vénitien du demi monde se trouve sur un sol vallonné écarlate et cèdera plus tard de nouveau la place au mur gris du théâtre où se joue l’opéra de Fritz pour s’ouvrir finalement encore une fois. La direction d’acteurs était pour la plus grande partie convaincante et l’engagement de l’ensemble homogène exemplaire.

Erna Metdepenninghen

Strasbourg, le 30 octobre 2012

Les commentaires sont clos.