Rencontre : Charles Dutoit "Les orchestres doivent apprendre à travailler vite"

par

Lors du concert de gala des ICMA 2014 dans le cadre du Festival Beethoven de Varsovie, nos collègues Guy Engels (Radio 100, 7 Luxembourg) et Serhan Bali (Andante, Turquie), tous deux membre du jury, ont rencontré Charles Dutoit qui nous parle de sa vision du chef d'orchestre dans le monde d'aujourd'hui.

Charles Dutoit dirige le Polska Orchestra Sinfonia Iuventus © Bruno Fidrych En vidéo, l'intégralité de l'interview (en anglais)
Charles Dutoit dirige le Polska Orchestra Sinfonia Iuventus © Bruno Fidrych
En vidéo, l'intégralité de l'interview (en anglais)

G. E. Pensez-vous qu'actuellement les orchestres ne disposent pas d'assez de temps pour répéter ?
Ch. D : Le problème n'est pas là mais bien dans le fait que ce sont les orchestres qui doivent apprendre à travailler vite. J'ai l'habitude travailler aux Etats-Unis. Là, les orchestres sont habitués : la première répétion est déjà comme un concert. En Europe, à l'exception de Londres, les musiciens sont confortablement installés dans leur siège, ils ont une autre mentalité, ils prennent leur temps. Si vous voulez travailler vite, vous perturbez leur rythme. C'est la seule différence. Au Japon, ils se préparent et, lorsque vous arrivez, ils sont prêts. (...) Ce qui est important pour moi, c'est le résultat. S'il y a une erreur, il ne faut pas s'arrêter. Si elle revient une seconde fois, il est temps de la corriger. Les types d'erreurs qui apparaissent en répétition ne sont pas toujours du même ordre : vous devez être comme un médecin, mettre le doigt sur le problème, vous devez faire un diagnostic et trouver la solution au problème. Cela relève de votre à vous. Nous répétons la technique qui va accélérer le travail. Beaucoup de chefs, particulièrement les jeunes, travaillent très rapidement avec les grands orchestres... et il n'y a pas de problème avec les grands orchestres. Malheureusement, ils ratent dès lors une étape dans leur apprentissage. Certains de mes amis chefs, de ma génération, ne sont pas nécessairement bons en répétition, mais le sont au concert... La vitesse du travail dépend principalement de la nature du groupe avec lequel on travaille et de l'aptitude du chef à travailler vite.

S. B.  Quel regard portez-vous sur les très jeunes chefs qui dirigent de très grands orchestres.
Ch. D. C'est bien. Bienvenue aux jeunes talents. Aujourd'hui, il y a beaucoup de jeunes talentueux, bien plus que par le passé, et les jeunes chefs ont l'occasion de réunir beaucoup d'informations sur ce que nous faisons : il y a internet, youtube, ils ont les enregistrements, les vidéos... ce que nous n'avions pas. Pour nous, écouter un enregistrement, c'était un luxe : c'était si cher pour moi que j'allais faire les yeux doux aux jeunes dames dans les magasins de disques pour pouvoir en écouter en cabine. Maintenant, si vous avez un problème, vous pouvez aller sur internet, voir un professeur,.. Vous trouvez Furtwängler, Toscanini,... et vous pouvez comparer. Vous apprenez rapidement. C'est la grande différence. Diriger, ce n'est pas difficile. Se retrouver devant un grand orchestre, c'est excitant. Le problème, c'est la préparation. Il y a un temps pour le Beaujolais et un temps pour le cognac...

Et Charles Dutoit de poursuivre sur le rôle d'Ernest Ansermet -qui fut son maître- dans sa vision de la musique, l'importance de la tradition culturelle et musicale, la responsabilité des « anciens » à l'égard des jeunes, la responsabilité des jeunes à l'égard de la musique, le triangle « chef, culture orchestrale, son » la plasticité des orchestres actuels au regard de la tradition et des répertoires sur lesquels ils se sont contruits, le chemin qui mène de l'interprétation « correcte » à la « top class », les défis à relever en Chine dans l'école qu'il a fondée avec son épouse, la violoniste Chantal Juillet,... une demi-heure de propos passionnants que vous pouvez suivre intégralement, en anglais, sur notre vidéo.

 

Les commentaires sont clos.