Réunion en un album des Messes brèves de Bach par The Sixteen
Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Messes. The Sixteen, direction Harry Christophers. 2013. Notice en anglais ; textes en latin et en allemand avec traduction anglaise. 140'00''. Coro COR16194.
La postérité n’a pas toujours rendu justice à ces Missae breves de Bach, d’aucuns estimant qu’elles sont d’importance secondaire, puisque leurs mouvements (six pour chacune) résultent dans leur grande majorité d’un matériel réutilisé par le Cantor à partir de certaines cantates, donc d’adaptations, voire même de parodies. Ce qui n’empêche pas la discographie de ces pages de musique d’église luthérienne, dont la durée moyenne tourne autour de la demi-heure, d’être riche en belles versions signées Philippe Herreweghe, Helmuth Rilling, Michel Corboz, Konrad Junghänel, ou Raphaël Pichon avec son Ensemble Pygmalion.
L’ensemble britannique The Sixteen Choir and Orchestra, fondé en 1979 par Harry Christophers (°1953), a enregistré pour Hyperion, Chandos et Collins, avant de créer en 2001 son propre label Coro, qui compte à son actif plusieurs dizaines de parutions de l’ère baroque, mais aussi d’œuvres des XIXe et XXe siècles (dont, en 2019, la formidable Symphonie n° 5 de James MacMillan). Du 20 au 24 mai 2013, dans la St Augustine’s Church située dans la zone londonienne de Kilburn, The Sixteen avaient gravé les Messes brèves, auxquelles ont été adjointes les Cantates 79 et 102, sources d’un matériel repris par le compositeur pour ces offices religieux. Les deux disques d’alors (Coro 16115 et 16120) sont réédités ensemble, sous la forme d’un seul album.
Composées sans doute dans la décennie qui s’étend entre 1737 et 1748, sans précision sur le fait qu’elles aient pu être jouées à Leipzig ou à Dresde, ces messes sont des exemples du métier et de la diversité de Bach, et sont élaborées selon un même schéma : le Kyrie, suivi d’un Gloria en cinq parties. Qu’il s’agisse de modifications dans l’instrumentation ou dans la tonalité, de choix de passages ajoutés, supprimés ou transférés de l’instrument à la voix ou vice-versa, le discours musical se situe toujours dans le registre de l’émotion.
Le premier volume de l’album regroupe les messes BWV 233 et 235, couplées avec la Cantate n° 102 « Herr, deine Augen sehen nach dem Glauben ! » pour le dixième dimanche de la Trinité. Pour la messe 233, dans le Qui tollis destiné à une soprano, et dans le Quoniam réservé à un alto, Bach a parodié deux arias de la cantate de 1723, alors que pour la 235, c’est le chœur d’entrée de cette même cantate qui est sollicité.
Dans le second volume, les messes 234 et 236 voisinent avec la Cantate n° 79 « Gott der Herr ist Sonn’ und Schild » de 1725 pour la fête de la Réformation. Ici, le deuxième aria de la cantate, voué à un alto, est confié à la même voix dans la 234 pour le Quoniam tu solus, le chœur initial du Gloria de la 236 étant issu du premier chœur de cette cantate 79. Au fil des quatre messes, Bach introduit une fine instrumentation (hautbois, cors, flûte) pour souligner, selon les circonstances, la douceur, le lyrisme, l’angoisse ou le côté pathétique des textes. Le choix d’insérer les cantates sur chaque disque, entre deux messes, est judicieux.
L’interprétation des Sixteen privilégie le dépouillement et la simplicité, le recueillement et la clarté, mais aussi la transparence, et elle suscite une émotion que les sopranos Grace Davidson et Julia Doyle, les altos Robin Blaze et William Purefoy, les ténors Jeremy Budd et Mark Dobell et les basses Ben Davies et Eamonn Dougan entretiennent avec une certaine pudeur. Mention spéciale pour Mark Dobell, particulièrement touchant dans le Qui tollis - Quoniam de la Messe 235. Les chœurs et les instrumentistes de Sixteen font preuve d’une belle cohésion, sous la baguette noblement attentive de Harry Christophers. Les deux cantates bénéficient d’une vraie dévotion, en particulier la BWV 102, avec ses côtés sombres et ses emprunts à l’Ancien et au Nouveau Testament.
Son : 8,5 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 8,5
Jean Lacroix