Roberto Gerhard : pages symphoniques de l’exil des années 1940 

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Roberto Gerhard (1896-1970) : Alegrías, suite pour orchestre tirée du ballet ;  Pedrelliana, pour orchestre ; Don Quixote, ballet en cinq scènes, avec quatre interludes et un épilogue. BBC Philharmonic, direction Juanjo Mena. 2023. Notice en anglais, en allemand et en français. 61’ 25’’. Chandos CHAN 20268. 

Voici l’un des rares compositeurs espagnols qui ait souscrit à l’héritage d’Arnold Schoenberg. Né à Valls, à une vingtaine de kilomètres de Tarragone, Robert Gerhard I Ottenwaelder (qui ajoutera un « o » à son prénom), est issu d’une famille dont le père suisse-alémanique et la mère alsacienne se sont installés en Catalogne. Il étudie le piano à Barcelone avec Enrique Granados, puis, après le décès de ce dernier en 1916, avec Felipe Pedrell (1841-1922) qui comptera aussi Albéniz et Manuel de Falla parmi ses élèves. On le retrouve à Vienne en 1924, où il se lie d’amitié avec Schoenberg, dont il sera le seul disciple espagnol. Proche du milieu révolutionnaire catalan et des peintres Miró et Dali, il est à Paris lorsque les franquistes s’emparent de Barcelone en 1939. Il rejoint l’Angleterre où il s’installe (il sera naturalisé) en obtenant une bourse d’études pour Cambridge. Il vit en composant pour la radio et le théâtre, obtient des commandes de la BBC et enseigne, ce qu’il fera aussi aux États-Unis au début de la décennie 1960. De retour en Angleterre, il use alors d’un sérialisme radical et austère jusqu’à son décès. Vite oublié, il est cependant remis au goût du jour en 1996, lors du centenaire de sa naissance. Un petit nombre de productions (Auvidis, Neos, Bis, Pandora) vont alors alimenter sa connaissance, mais de façon limitée, parfois dans des couplages avec d’autres compositeurs ibériques. Il laisse pourtant un catalogue important : cinq symphonies, dont la dernière est inachevée, cinq ballets, des concertos pour divers instruments, un opéra, deux cantates, des mélodies, de la musique de chambre.

L’éclectique label Chandos a consacré plusieurs albums à Gerhard, en particulier à la fin de la décennie 1990, qui a vu la parution de son opéra La Dueña dirigé par Antoni Ros Marba, avec l’English Northern Philharmonia, et de symphonies et de concertos sous la baguette de Matthias Bamert à la tête du BBC Symphony Orchestra. Aujourd’hui, trois compositions, qui datent de la décennie 1940, peu après le début de l’exil dû au franquisme, sont rassemblées. Deux d’entre elles (Pedrelliana et Don Quixote) viennent supplanter un programme quasi-similaire de 1992, joué par l’Orchestre symphonique de Ténériffe, sous la direction de Victor Pablo Pérez (Auvidis, repris par Naïve). Le ballet consacré au « chevalier à la triste figure » occupe les deux tiers de l’affiche. 

En ce début de Seconde Guerre mondiale, Gerhard rend un hommage fervent à son professeur Felipe Pedrell, dont la renommée comme compositeur est encore limitée de nos jours. Falla avait fait de même en 1938 dans ses Homenajes. C’est une symphonie en trois mouvements pour le centenaire de son maître que Gerhard composa en 1941, mais elle ne fut pas jouée (elle est disponible dans un autre album Chandos). Treize ans plus tard, sous l’impulsion d’un chef argentin, il aménage le final avec des thèmes foisonnants tirés de chansons folkloriques arrangées par Pedrell et de l’opéra de ce dernier La Celestina, qui date de 1902. S’il n’a pas renié sa fidélité à Schoenberg, Gerhard est plutôt, à cette époque, imprégné par Bartók et Stravinsky, son héritage espagnol et la musique française du début du siècle. Cela donne une page savoureuse et haute en couleurs. C’est le cas aussi de la suite pour orchestre de chambre tirée du ballet Alegrías (1942-43), baignée par le flamenco, dont le thème est servi par deux pianos. Des moments joyeux et allègres servent bien le côté hispanisant de ce jeu entre la vie et la mort. 

Le ballet Don Quixote, initié en 1940, a subi des modifications au cours des cinq années qui ont suivi, pour aboutir à une version définitive en 1949, avant sa mise en scène l’année suivante au Royal Opera House, avec les étoiles de la danse du temps, Robert Helpmann et Margot Fonteyn. Après une éclipse, le ballet connaît un renouveau en concert depuis trois décennies. Pour l’écriture, Gerhard se documenta avec abondance, comme l’explique la notice de Paul Griffiths. Son attention fut retenue par la perception de Don Quichotte par l’écrivain Miguel de Unamuno (1864-19376), qui le voyait comme représentatif de l’Espagnol typique, avec un retour à l’époque où les souverains du pays dominaient une partie de l’univers. On lira les nombreux détails qui expliquent la genèse du ballet ; celui-ci suit les principales péripéties de l’aventure matamoresque du héros. La partition est colorée à souhait, dans une orchestration fournie, avec présence de deux pianos. Les personnages ou les éléments principaux sont associés à divers instruments (clarinette basse pour Don Quichotte, cor anglais ou flûtes pour Dulcinée, percussion et flûte pour Sancho Pança, piccolo et cor pour les ailes en mouvement du moulin, etc.). Fanfares, danses variées, interludes ironiques ou humoristiques, berceuse ou paso doble figurent notamment au menu d’une partition imaginative, qu’on aimerait voir sur scène. 

Cet album remet en évidence Roberto Gerhard, trop rare en concert, Il est joué ici avec conviction et caractérisation par le BBC Philharmonic sous la direction de Juanjo Mena.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

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