Fauré par Ji-Yoon Park et Laurent Wagschal

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Gabriel Fauré (1845-1924) : Première Sonate pour violon et piano en la majeur op.13, Romance op.28, Morceau de lecture à vue, Andante op.75, Deuxième Sonate pour violon et piano en mi mineur op.108, Berceuse op.16. Ji-Yoon Park, violon ; Laurent Wagschal, piano. 2023. Livret en français et anglais. 63’40’’. Calliope IC054

Le centenaire de la disparition du compositeur donne lieu à nombre d’hommages, concerts et enregistrements. Autant d’occasions d’apprécier les perspectives dans lesquelles se placent les interprètes d’aujourd’hui. L’intégrale publiée chez Indésens Caliope Records a ainsi été confiée au pianiste Laurent Wagschal qui, après avoir enregistré la musique pour clavier et les œuvres pour violoncelle et piano avec Pauline Bartissol, nous présente celles pour violon et piano. Ce musicien chevronné, familier du répertoire français, s’est associé cette fois avec la Sud-Coréenne Ji-Yoon Park, archet d’élite et super soliste de l’Orchestre Philharmonique de Radio France.

Si les qualités d’énergie, de fusion, d’écoute mutuelle au service d’un espace de mobilité à l’intérieur même du dialogue sonore constituent les propositions les plus convaincantes de cette version, on reste un peu sur sa faim.

Dès l’Allegro molto de la Première Sonate la violoniste souligne le trait avec autorité osant même des sonorités nasalisées tandis que le jeu du pianiste lui fournit une matière abondante tour à tour dense ou parcellisée. L’Andante confirme la capacité des deux musiciens à varier les intonations, les coloris allant du feutré à la clarté limpide. L’évidence du galbe se fait sensuelle, un peu pressée pour le Scherzo tandis que l’impulsion réciproque de l’Allegro final s’impose en contraste avec la nonchalance réclamée par le compositeur.

La Romance opus 28 d’une élégance un peu surannée suspend ses interrogations pour rejoindre le piano dans son balancement caractéristique, tandis que les difficultés d’intonation du morceau de lecture à vue donnent une idée des exigences du conservatoire tout en dégageant une miraculeuse poésie.

L’Andante opus 75, plus tardive, évolue déjà vers l’épure. Le clavier un peu en retrait, parfois tendu, y laisse à découvert des traits spinto à la limite de la stridence côté violon.

Quarante ans après la Première sonate, la Deuxième en mi mineur opus 108 composée par Fauré à Evian pendant l’été 1916 fut dédiée à la souveraine mélomane Elisabeth, reine des Belges.

Elle met en présence des affrontements rythmiques où la dialectique du flou et du précis devient centrale. La ponctuation y combat sans cesse le flottement ici traités vigoureusement.

Enfin, en guise de conclusion, la fameuse Berceuse op. 16. bien allante, parfois âpre, privilégie l’expression au détriment de l’hédonisme.

La confrontation avec la discographie concernant les mêmes œuvres donne le vertige : d’Alfred Cortot et Jacques Thibaud, Arthur Grumiaux et Paul Crossley à Zino Francescatti et Robert Casadesus sans oublier l’intégrale de Gérard Poulet et Noël Lee. L’expérience donne aussi à réfléchir.

Certes la relative proximité de la disparition du maître français -trois générations- a certainement permis la transmission d’une esthétique, un style et une technique fidèles grâce aux excellentes écoles françaises instrumentales. Pourtant, l’intensité qui saisit à l’écoute des versions précitées laisse percevoir autre chose : une forme d’humilité, d’effacement qui reposent sur une conception de l’existence décentrée de soi et ouvrent sur l’indicible. Inversement la volonté d’affirmation personnelle, la complaisance propre à une époque narcissique comme la saturation de l’image sonore (prise de son flatteuse surdimensionnée) prennent le risque de sonner creux. 

Son 8 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9

Bénédicte Palaux Simonnet

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