Roxanna Panufnik et Mikołaj Piotr Górecki, dignes successeurs de leurs pères

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Roxanna Panufnik (°1968) : Les quatre saisons du monde, pour violon et orchestre à cordes. Mikołaj Piotr Górecki (°1971) : Concerto-Notturno, pour violon et cordes op. 13 ; Divertimento pour cordes op. 32 ; Adieu, pour cordes op. 33b ; Concerto lirico pour deux orchestres à cordes op. 45. Jarosław Żołnierczyk et Kaja Danczowska, violon ; Orchestre de chambre Amadeus de la Radio polonaise, direction : Agnieszka Duczmal. 2005, 2012, 2016 et 2019. Notice en polonais et en anglais. 61.12. Dux 1915. 

L’expression « Bon sang ne saurait mentir » convient très bien à la fille d’Andrzej Panufnik (1914-1991) et au fils de Henryk Górecki (1933-2010). Tous deux marchent sur les traces de leurs pères compositeurs qui ont ajouté des lettres de noblesse à la musique polonaise. Les amateurs d’intenses émotions musicales vont être comblés par les partitions du présent album, gorgées de sentiments lyriques.

Auteur d’un catalogue imposant, dont dix symphonies, Andrzej Panufnik décide de quitter la Pologne et d’émigrer en Angleterre en 1954, suite à des problèmes avec le régime communiste et pour des raisons privées ; c’est là qu’il convole en secondes noces avec la photographe et écrivaine pour la jeunesse Camilla Jessel. De cette union, naît, dans la capitale anglaise, Roxanna Panufnik, qui est de nationalité britannique. La jeune femme étudie la composition à la Royal Academy of Music, notamment avec Paul Petersson et Hans Werner Henze. Elle devient journaliste, prépare des programmes pour la BBC, et propage l’œuvre de son père, tout en construisant son propre catalogue : opéra, ballet, musique orchestrale et de chambre, musique de films et pour la télévision. Ses Quatre saisons du monde ont été créées en 2011 ; il s’agit d’une commande de la violoniste anglaise Tasmin Little qui enregistrera l’œuvre pour Chandos en 2016. En quatre mouvements, cette partition de près de vingt-cinq minutes chante éperdument dans un registre émotionnel très accessible qui, s’il relève surtout du néoclassicisme, fait cependant entendre d’audacieux effets d’archet. On se laisse séduire, puis envoûter par les évocations successives d’un automne sur des airs folkloriques de l’Albanie, d’un hiver basé sur un chant tibétain, d’un printemps au Japon dont les fauvettes dans les arbres saluent le retour, et d’un été en Inde, enrichi par des mélodies locales. La diversité laisse une part aux sensations que l’auditeur éprouve face à un raffinement de chaque instant, les cordes offrant au violon un tapis de subtilités que traduit avec pertinence Jaroslaw Żolnierczyk (°1966), concertmeister de l’Orchestre de chambre Amadeus de la radio polonaise, qui officie ici sous la direction attentive d’Agnieszka Duczmal. Son jeu, tout en nuances et en fines couleurs, donne à ces Quatre saisons du monde toute leur saveur.

Le plaisir de cette belle découverte se prolonge dans les quatre pages de Mikołaj Piotr Górecki, dont le père a obtenu une reconnaissance internationale avec sa Symphonie n° 3 « des chants plaintifs » de 1976. Après avoir appris le piano et le violon, le jeune Mikolaj opte pour la composition ; il bénéficie de l’enseignement de son père à l’Académie de Katowice. A dix-sept ans, il remporte en Pologne un concours pour jeunes compositeurs. Le présent album propose un éventail de pages écrites entre 2000 et 2016, dans lesquelles on retrouve des échos des créations paternelles en termes de sensibilité et d’aspects contemplatifs, mais Mikolaj Górecki se crée son propre langage musical, au sein duquel, comme le précise avec opportunité la notice, il manie les sons délicats et les harmonies, créant la plupart du temps une mosaïque musicale hypnotique. C’est ce que l’on constate dans le douloureux Adieu pour cordes de 2009, brève narration quasi mystique qui serre le cœur. Mais dès l’an 2000, le Concerto notturno pour violon et cordes laissait l’instrument soliste s’épancher entre virtuosité diaphane et aspects planants, proches de l’esprit de l’œuvre de son père Henryk, dont l’influence transparaît dans un univers parfois en suspension. La violoniste Kaja Danczowska (°1949) traduit ces intentions avec une juste charge émotionnelle. Le Divertimento de la même année 2009 et le Concerto lirico pour deux ensembles de chambre de 2016, dans lequel un dialogue chaleureux s’installe, sont imprégnés du même climat expressif. 

Ces pages de Roxanna Panufnik, à laquelle nous accordons notre préférence, et de Mikolaj Piotr Górecki ne sont sans doute pas révolutionnaires. Marquées par la tendance de plusieurs compositeurs polonais à magnifier dans un langage clair le lyrisme intime et la narration subtile, elles procurent cependant un plaisir d’écoute qui se confirme après plusieurs auditions. A la tête de l’Orchestre Amadeus, avec lequel elle a déjà signé d’excellents albums consacrés à Bacewicz ou à Weinberg, Agnieszka Duczmal soigne la douceur des lignes comme leur intensité. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

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