Les concertos pour violon de Cattaneo par Anton Steck

par

Francesco Maria CATTANEO (c. 1697-1758) : Cinq concertos pour violon. Anonymes : Deux Sinfoniae et une Ouverture. Anton Steck, violon ; L’Arpa festante. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 73.23. Accent ACC 24364.

Il existe à la Bibliothèque régionale de Saxe - Bibliothèque d’Etat et universitaire de Dresde un précieux fonds de 1 750 partitions qui ont été conservées longtemps dans ce que l’on appelle l’armoire « Schranck n° II » et qui sont le témoignage de la richesse du répertoire instrumental à Dresde dans les deux premiers tiers du XVIIIe siècle. Ce lot monumental a été trié et répertorié à la fin de la Guerre de Sept ans, placé dans des enveloppes avec détails du contenu et installé dans une armoire d’archives, la fameuse « Schranck II », dans l’église de la Cour de la cité. Une centaine d’années plus tard, Julius Rietz (1812-1877), maître de chapelle à Dresde, le redécouvrit. Aujourd’hui, ce fonds impressionnant a été traité scientifiquement et est accessible sous forme numérique. C’est la notice de ce très intéressant CD qui nous apprend le parcours de ces partitions, heureusement préservées. Parmi elles, se trouvent celles de Francesco Maria Cattaneo, conservées dans cette légendaire armoire « Schranck II ».

Que sait-on de Cattaneo ? Un nombre limité de renseignements. Son nom ne figure pas dans le gros Dictionnaire biographique des musiciens en trois volumes parus en 1995 chez Laffont/Bouquins. En réalité, on sait peu de choses sur sa naissance : date incertaine, aux environs de 1697, à Lodi, chef-lieu de la province du même nom en Lombardie. On ignore ce que furent sa jeunesse et sa formation musicale. Les premières traces apparaissent à Munich en 1717 où il est musicien de la Chapelle de la Cour ; quatre ans plus tard, il est à la Cour saxo-polonaise de Dresde, où se trouvent beaucoup de musiciens italiens. Il fait partie de l’orchestre privé du Comte Flemming, Ministre d’Auguste II, avant d’être engagé à Varsovie dans la chapelle de la Cour. Le Prince héritier devient son protecteur. Il fait un séjour à Venise en 1728 où il est possible qu’il ait étudié auprès de Vivaldi. Lorsque son protecteur devient roi sous le nom d’Auguste II, Cattaneo est membre officiel de la Chapelle de la Cour de Dresde, dirigée par Johann Adolph Hasse (1699-1783), tandis que sa sœur Maria Santina, (c. 1710-1742) dont certaines sources signalent qu’elle aurait pu apprendre le chant à l’Ospedale della Pièta de Venise, fait partie de l’effectif vocal. A Dresde, Cattaneo est soliste aux côtés du chef de pupitre Johann Georg Pisendel (1687-1755), ami de Vivaldi qu’il fera connaître dans la capitale de la Saxe. A la mort de son collègue, Cattaneo est nommé premier violon, mais il disparaît à son tour en 1758, en pleine Guerre de Sept ans. Ces détails biographiques, pour lesquels nous nous inspirons de la notice rédigée par Sebastian Biesold, sont nécessaires pour situer la personnalité de ce musicien considéré comme un virtuose exceptionnel, tout autant que son collègue Pisendel avec lequel les relations ne semblent pas avoir été toujours au beau fixe. En tant que compositeur, Cattanaeo ne s’est intéressé qu’au violon, pour lequel il a écrit des sonates et des concertos. 

Nous n’avons pas le souvenir d’autres enregistrements d’œuvres de Cattaneo. Parmi ses partitions, cinq concertos ont été conservés et font l’objet ici d’une première gravure mondiale. L’éditeur aurait été bien inspiré de signaler le fait sur la pochette du CD, car mettre à la disposition des mélomanes ces petits bijoux violonistiques est un vrai cadeau. Destinés sans doute à son propre usage, ces concertos, en deux ou trois mouvements, ne sont accompagnés que par les cordes et une basse continue. L’un d’entre eux est agrémenté par deux hautbois, tandis qu’un autre fait la part belle au basson, sous la forme d’un double concerto avec violon. En écoutant ces pages charmantes, enjouées, virevoltantes et ensoleillées, on pense souvent à Vivaldi, mais aussi à Hasse, compositeur célèbre d’opéras qui avait fini par s’installer à Venise où il mourut, mais dont l’influence à la Cour de Dresde était grande. Cattaneo manie le lyrisme comme la tension dramatique avec un art consommé ; il sait comment envelopper un rythme en lui conférant une atmosphère de danse et de luminosité. La notice résume bien l’art de Cattaneo en citant un témoignage de l’époque, un texte d’un certain Johann Gottlob Kittel qui écrit : « Et Toi, CATTANEO, tout droit venu du pays des Guelfes/ Conduis sur le violon ta main avec un tel art/ qu’aucun de tes compatriotes ne saurait/ rivaliser avec toi par la vélocité. »

Pour compléter ce programme trop court (les cinq concertos n’occupent que quarante-cinq minutes du CD), ont été ajoutées trois autres partitions, anonymes celles-là, qui font partie du fonds « Schrank II », à savoir une Sinfonia pour cordes et basse continue, une Sinfonia pour deux hautbois, cordes et basse continue et une Ouverture pour deux hautbois, basson, cordes et basse continue. Dans le même esprit de fraîcheur que les concertos de Cattaneo, placées en alternance avec les partitions de ce dernier, elles confirment la richesse inventive des compositeurs attachés à la Cour de Dresde.

Tout au long de cette affiche prometteuse, dont la prise de son a été effectuée à la Martinskirche de Müllheim en juin 2019, le violoniste Anton Steck se taille la part du lion. Né en 1965, il a étudié à Karlsruhe, puis à Amsterdam avec Reinard Goebel. Successivement violon solo du Musica Antiqua Köln, des Musiciens du Louvre de Marc Minkowski et du Concerto Köln, il a participé avec ces ensembles à de nombreux enregistrements de musique baroque. Tout en enseignant à Trossingen, cité du land de Bade-Wurtemberg, il s’est ensuite lancé dans une carrière de soliste, de chambriste et de chef d’orchestre. Ses gravures de concertos inédits de Vivaldi, de Ferdinand Ries ou de Bernhard Molique ont été saluées par la presse internationale. En ce qui concerne la Cour de Dresde, il a signé aussi des gravures consacrées à Pisendel. Anton Steck fait briller les partitions de Cattaneo avec fougue et un enthousiasme communicatif, qu’il partage avec l’ensemble L’Arpa festante, fondé en 1983 à Munich et dirigé par Christoph Hesse. On saluera dans le double concerto de Cattaneo le basson coloré de Wouter Verschuren, qui travaille souvent avec Ton Kopman.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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