Sensibilités oubliées
SERENADE
Mélodies de Gounod, Bizet, Meyerbeer, Chabrier, Chausson, Massenet, Saint-Saëns, Magnard
Thomas HAMPSON, baryton, Maciej PIKULSKI, piano
2017-DDD-57'36-présentation et textes en anglais, français, allemand-chanté en français-pentatone PTC 5186 681
Les affinités du célèbre baryton américain avec le répertoire français – il fut Hamlet, Arthus ou Werther (version baryton) – sont bien connues. Elles se joignent à la vaste expérience de soliste et d'accompagnateur de Maciej Pikulski pour proposer un récital assez insolite. En effet, dès la délicate Sérénade de Gounod, le répertoire fait appel, en partie, à une forme de sensibilité suave, tendre, décorative souvent associée à des voix légères et un cadre intime. Souvenons-nous, pourtant, de ces salons impériaux puis de ceux de la Belle Epoque où valeureux généraux, héros politiques ou capitaines d'industrie charmaient leur auditoire, interprétant romances, airs ornés, mélodies caustiques ou extatiques avec la plus fine sensibilité. Ici les interprètes jouent d'accents graciles, notes détachées - curieusement appuyées au piano (Sérénade) - passages en voix de tête (pour le baryton), transportant l'auditeur dans une forme de vie en société tout à fait oubliée. De La Coccinelle à Pastorale ou aux Yeux clos et Heure vécue (Massenet), ce sont guirlandes enamourées, espiègleries, baisers volés et suaves alanguissements alternant avec des pages plus sombres où l'ampleur vocale, la présence un peu insistante du vibrato rappellent que Thomas Hampson vient de l'opéra. Éclectisme poétique tout aussi insolite : Victor Hugo inspire - comme souvent - les plus belles mélodies ; Théophile Gautier (La Chanson du pêcheur) côtoie de Baïf, Bouchor, Albert Jounet l'écrivain ésotérique ou encore l'obscur Gaston Buchillot tandis que Meyerbeer recourt au sulfureux François-Joseph Méry (1797-1866) pour broder une Sicilienne, ici, bien en situation. La goguenardise de Chabrier sauve du ridicule les désuets Petits canards de Rosemonde Gérard. Mais Albéric Magnard, pourtant si rare et intéressant, ne parvient pas à relever la désolante platitude de son propre poème, Les roses de l'amour. Dans les moiteurs brûlantes des partitions de Chausson, ce sont des couleurs plus nacrées, plus fauves qui se révèlent au fil du récital tandis que l'héroïsme et les traits architecturés de Saint-Saëns mettent en valeur le velours enveloppant de la voix de Thomas Hampson, comme le sens du discours de Maciej Pikulski.
Bénédicte Palaux Simonnet
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 9 - Interprétation 9