Sir William Walton : légèreté, lyrisme et passion
Sir William Walton (1902-1983) : Troilus et Cressida, suite symphonique, arrangement Christopher Palmer ; Concerto pour violon et orchestre ; Portsmouth Point, ouverture. Charlie Lovell-Jones, violon ; Sinfonia of London, direction John Wilson. 2024. Notice en anglais. 63’ 20’’. Chandos CHSA 5360.
Le présent album offre un panorama convaincant de l’inspiration de Sir William Walton (anobli en 1951) à plusieurs moments de sa production. Contrairement à l’affiche proposée, notre présentation suivra l’ordre chronologique d’écriture. Alors qu’il s’achève par l’ouverture Portsmouth Point, le programme aurait en effet pu commencer par ce bref et sémillant divertissement. Premier vrai succès public du compositeur, cette page de jeunesse est achevée en l’été 1925 pendant un séjour en Espagne avec la fratrie Sitwell, poètes extravagants qui ont offert à Walton une résidence au château de Chelsea qui va durer quinze ans. Ils lui ont déjà inspiré l’aventure déjantée de Façade, qui a fait scandale. La première de Portsmouth Point est donnée le 22 juin 1926 au Tonhalle de Zurich par Volkmar Andreae, quelques jours avant Londres, sous la baguette d’Eugène Goossens, puis à l’affiche de plusieurs cités européennes et américaines. Walton s’est inspiré d’une gravure satirique du début du XIXe siècle qui évoque l’animation des rues et les préparatifs d’un embarquement pour insuffler à sa partition des effets vivement syncopés, inspirés par son admiration pour Stravinsky et pour le jazz, notamment de Gershwin, qu’il a rencontré. Cette partition pleine de vitalité, est ici jouée, sous la direction investie de John Wilson, avec la jubilation qu’elle réclame.
Après un Concerto pour alto créé à Londres en 1929 par Paul Hindemith, Walton s’attelle à un Concerto pour violon commandé par Jascha Heifetz, qui en donne la première à Cleveland, sous la direction d’Artur Rodzinski, le 7 décembre 1939, et l’enregistrera dès février 1941 avec l’Orchestre symphonique de Cincinnati mené par Eugène Goossens. La version du perfectionniste Heifetz est décapante, prise dans un tempo virtuose très enlevé (réédition chez Naxos, couplée au Concerto d’Elgar, dans un copieux coffret Heifetz paru en 2000). En 1943, Walton allégera quelque peu l’orchestration de sa partition en trois mouvements ; Heifetz la gravera pour EMI en 1950 avec le Philharmonia, Walton étant alors à la direction (ce qui sera aussi le cas avec Menuhin). Au-delà du brio, prévisible vu la personnalité du dédicataire, ce concerto révèle de superbes moments de chaleureuse générosité et de lyrisme intense, mais aussi de douce rêverie, qui découlent sans doute du séjour sur la côte amalfitaine du compositeur, en convalescence après une opération. Les variations de dynamique mettent le soliste à l’épreuve pour trouver la juste mesure entre les variations de couleurs et de nuances, que le deuxième mouvement, qui s’ouvre sur un Presto capriccioso a la napolitana, illustre avec éloquence, avant un final des plus lumineux.
Ce concerto aux accents souvent débridés (on pense parfois à Prokofiev) a attiré maints solistes. Après Heifetz et Menuhin, déjà cités, David Oïstrakh, Salvatore Accardo, Lydia Mordkovitch, Nigel Kennedy, Kyung-Wha Chung, James Ehnes ou Tasmin Little l’ont enregistré, liste non limitative. On sortira du lot la version exaltante d’Ida Haendel, alors pour EMI (1992), avec le Symphonique de Bournemouth dirigé par Paavo Berglund, en couplage avec le concerto de Britten. Ici, le Gallois Charlie Lovell-Jones (°1999), premier violon du Sinfonia London, trouve, en ses partenaires, des complices qui le suivent sans failles dans sa vision assez proche des tempos de Heifetz, pleine de vivacité et d’engagement, mais qui néglige parfois un peu le lyrisme au bénéfice d’une virtuosité qu’on ne lui déniera pas. Il est bien soutenu par l’Anglais John Wilson (°1972), à la tête du Sinfonia London depuis 2018.
La suite tirée par Christopher Palmer (1946-1995) en 1987 de l’opéra Troilus et Cressida, qui a connu une longue gestation de 1947 à 1954, puis des révisions jusqu’en 1976, forme un beau choix de moments issus de cet opéra en trois actes, dont le succès connut des hauts et des bas, avant une véritable reconnaissance. Sur un texte du poète londonien du XIVe siècle Geoffrey Chaucer, le sujet, qui convaincra aussi Shakespeare, tourne autour de la fille d’un grand-prêtre troyen qui renoncera par amour à devenir prêtresse. L’œuvre a été inspirée à Walton par Alice Wimborne, sa compagne, qui décéda brutalement en juin 1948. Cette suite en quatre mouvements (Prélude/Scherzo/The Lovers/Finale) résume de façon intelligente la portée d’un opéra à l’orchestration riche, colorée et lyrique à souhait, entre finesse et passion. John Wilson et le Sinfonia of London exploitent toute la verve et l’inventivité d’une partition qui rappelle que Walton, à cette époque, écrivait de remarquables musiques de films pour Laurence Olivier.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix
Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.
1 commentaires