Six albums pour le Premier Concours International de Musique Polonaise 2019 

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Du 20 au 27 septembre 2019, la première édition du Concours international Stanislaw Moniuszko de musique polonaise s’est tenue à Rzeszow, ville universitaire de 200 000 habitants, au sud-est de la Pologne, dans les Basses-Carpates. La cité se situe à égale distance de Cracovie et de Lviv, en Ukraine. Cette édition a été organisée par l’Institut de Musique et de Danse, en collaboration avec la Philharmonie Podkarpacka Arthur Malawski où les prestations ont eu lieu dans les deux salles de concert rénovées depuis 2010, dont l’une est consacrée spécifiquement à la musique de chambre. Sous les auspices du Ministère de la Culture et du Patrimoine, ce projet vise à populariser la musique polonaise des XIXe et XXe siècles, en particulier les œuvres méconnues ou oubliées. Le label Dux, qui œuvre de manière inlassable pour une meilleure exploration de cet héritage musical, publie des moments de ce concours sous la forme de six CD séparés, le dernier étant réservé aux trois premiers lauréats des deux spécialités : piano et musique de chambre. 

Volume 1 : Stanislaw MONIUSZKO (1819-1872) : Quatuors à cordes n° 1 et 2 ; Lullaby, Valse, Nocturne, Polonaise et Daniel Polka pour piano ; Contredanses pour piano à quatre mains. Henryk MELCER-SZCZAWINSKI (1869-1928) : La fileuse, Paraphrase sur le « Vieux caporal » de Moniuszko, pour piano ; Trio à clavier n° 2 : Andante con moto. Eryk Parchanski, Daniel Ziomko, Michal Dziewior, Szymon Atys, piano ; Duo de piano Andriuti-Shemchuk ; Quatuor Atma ; Quartetto Nero ; Trio Apeiron. 2019. Livret en polonais et en anglais. 72.26. Dux 1653.

A tout seigneur, tout honneur ! Le nom de Stanislaw Moniuszko s’impose, non seulement parce que ce Concours porte son nom, mais parce qu’avec Chopin, il est sans doute le plus connu des compositeurs polonais du XIXe siècle. L’auteur des opéras Halka ou Le Manoir hanté, dont nous avons récemment présenté un enregistrement, toujours chez Dux, de son opéra Le Batelier, a longtemps été organiste à Vilnius avant de connaître le succès lyrique et de devenir premier chef de l’opéra de Varsovie. Le présent CD met en évidence deux autres aspects de sa production. Les Quatuors n° 1 (1839) et n°2 (date imprécise, mais sans doute de la même époque, lorsque Moniuszko étudie à Berlin) s’inscrivent dans une veine structurelle classique, avec une expressivité romantique marquée et des mélodies simples. Les musicologues polonais ne leur ont accordé qu’un intérêt relatif dans la production de Moniuszko, considérant qu’il s’agissait plutôt de « compositions d’exercice ». On ne peut cependant nier leur charme ni l’harmonie équilibrée entre les instruments, bien rendue respectivement par le Quatuor Atma et par le Quartetto Nero, tous deux polonais et féminins. Le livret fait une présentation de chaque soliste ou groupe instrumental qui évolue au fil des œuvres ; nous y renvoyons le mélomane pour des détails plus approfondis. Les pièces pour piano sélectionnées révèlent plusieurs aspects de l’art de Moniuszko, de la valse au nocturne, de la polonaise à la polka, la danse étant la plus grande partie de son inspiration ; il s’agit de pièces agréables, bien ornementées, sans doute destinées aux salons du temps. Deux jeunes interprètes polonais se les partagent, Eryk Parchanski et Daniel Ziomko. Quant au couple roumano-ukrainien Alina Andriuti-Shemchuk et Ivan Shemchuk, ils traduisent toute la verve et la fraîcheur des Contredanses pour quatre mains, qui semblent dater de 1863. Moniuszko n’atteint pas le niveau de Chopin dans sa musique pour piano, c’est une évidence, mais on ne peut nier l’utilité de rendre ainsi accessibles des pièces variées qui montrent que son esprit créatif n’était pas lié à la seule scène lyrique.

Dans ce même premier volume, on trouve trois partitions (une vingtaine de minutes pour l’ensemble) de Henryk Melcer-Szczawinski, élève de Moszkowski et de Strobl à Varsovie, puis de Leschetizky à Vienne. Chef d’orchestre et pédagogue, il a dirigé l’Opéra de Varsovie pendant deux ans, à l’époque de la première guerre mondiale. Il est l’auteur de deux opéras, de concertos, de pièces pour piano, de mélodies et de musique de chambre. Ce sont des interprètes polonais qui nous le font découvrir : Michael Dziewior dans La Fileuse pour piano, arrangement d’un air de Moniuszko, dont le pianiste préserve le mouvement suggéré par le travail artisanal du titre, et Szymon Atys pour une paraphrase sur un autre air de Moniuszko , le piano évoquant de façon lancinante une caisse claire qui accompagne la marche d’un condamné vers la mort. Un extrait du Trio à clavier op. 2 de 1892-1894 est joué par le Trio Apeiron. Cet Andante con moto, dans la ligne de Brahms, Grieg et Dvorak, est plein de fraîcheur et d’émouvantes effusions. 

Volume 2 : Franciszek LESSEL (1780-1838) : Quatuor à cordes n° 8 ; Trio à clavier op. 5. Ludomir ROZYCKI (1883-1953) : Italia op. 50, pour piano ; Rhapsodie pour piano, violon et violoncelle op. 33 ; Quintette à clavier op. 35. Quatuor Atma ; Cuore Piano Trio ; Trio Apeiron ; Quintette Septem ; Michael Dziewior, piano. 2019. Livret en polonais et en anglais. 78.47. Dux 1654.

« Oublié depuis deux cents ans », comme le précise la notice, Franciszek Lessel, dont on ignore précisément le lieu (Varsovie est l’une des pistes) et la date de naissance, que l’on fixe vers 1780, reçoit sans doute des leçons de son père, pianiste et kapellmeister à Dresde, et fait partie d’une formation de chambre dès son adolescence. On le retrouve à Vienne (tenté par la médecine, selon certaines sources), où il fait la connaissance de Haydn, dont il devient un proche et auprès duquel il se perfectionne. Au décès de son maître, il regagne la Pologne, se marie et compose, même s’il disparaît de la vie musicale de Varsovie ; il va devenir administrateur des biens d’une duchesse. Les dernières années de sa vie sont consacrées à l’enseignement et à l’inspection des écoles. La plupart de ses œuvres sont perdues, celles qui existent sous la forme de manuscrits relèvent du domaine instrumental. Le présent CD en propose trois : un Quatuor de 1824 d’abord, dans un pur style viennois, retrouvé en 1996 à la Bibliothèque Nationale de Paris. Lessel y déploie une belle inventivité, avec des passages spectaculaires pour le violon et des motifs bien différenciés. Le Quatuor Atma, qui officiait déjà dans le volume 1 de cette série de CD, rend la partition avec beaucoup de fougue. Quant au Trio op. 5, qui semble dater des environs de 1806 et est de la période où Lessel vécut à Vienne, il est d’un style brillant et virtuose, avec des contrastes lyriques bien marqués ; la partie de piano montre l’excellence de Lessel dans ce domaine, même s’il n’oublie pas de faire dialoguer violon et violoncelle avec lui. Ici, c’est le Cuore Piano Trio polonais qui officie, avec chaleur et caractère.

L’autre compositeur de ce CD, Ludomir Rozycki, né à Varsovie en 1883, s’est rendu à Berlin après ses études polonaises et a travaillé avec Engelbert Humperdinck. Rentré en Pologne en 1919, il participe activement à la vie musicale de la capitale, enseigne au Conservatoire, écrit des articles musicaux, se produit en concert et compose opéras, opérettes, ballets, pages pour orchestre, surtout des poèmes symphoniques, et de la musique de chambre. L’un de ses ballets, qui rencontre un grand succès populaire, est taxé de « folklore imité » et est même soupçonné par la critique de trop s’inspirer de Szymanowski, son aîné d’un an. Son séjour des années 1910 à Berlin lui procure quelques ennuis auprès des autorités lorsque la seconde guerre mondiale éclate. Il s’établit alors dans la région de Cracovie ; on raconte que son épouse aurait par précaution enfoui ses manuscrits et documents dans le jardin de leur maison, mais le tout aurait été volé ultérieurement. Après la guerre, il est distingué par les nouvelles autorités, reçoit une pension spéciale et poursuit sa carrière d’enseignant à Katowice. On découvre ici une page pour piano de 1923, Italia, pays que Rozicki a visité pendant son séjour à Berlin. Dans cet hommage aux voyageurs de la période du romantisme, méditation sur les ruines anciennes et sur les événements dramatiques du passé de cette terre de soleil, on retrouve Michal Dziewior, qui en traduit tous les côtés poétiques et les couleurs, parfois dissonantes, que Rozicki a distillées dans un style postromantique. La Rhapsodie de 1913 est une page virtuose d’une dizaine de minutes, écrite pour trois instruments. Thèmes lyriques et développement de plus en plus dynamique sont servis par le Trio Apeiron, dont on retrouvait déjà la maîtrise déployée dans le volume 1 de cette série. C’est le Quintette Septem qui s’empare du vigoureux Quintette op. 35 de 1913, dont le Quatuor Szymanowski a fait briller la puissance symphonique avec Jonathan Plowright dans un CD Hypérion de 2016 (où l’on trouve aussi le chef-d’oeuvre qu’est le Quintette avec piano d’Ignacy Friedman). La notice du livret souligne que l’influence des poèmes de Richard Strauss, mais aussi de ceux de Mieczyslaw Karlowicz est manifeste chez Rozycki, au niveau de l’ampleur et du développement des thèmes, qui sont d’une grande beauté mélodique et d’une profonde expressivité.

Volume 3 : Moritz MOSZKOWSKI (1854-1925) : Etude de concert op. 24 n° 1 ; Etincelles. Allegro scherzando op. 36 n° 6 ; Etudes op. 72 n° 12 et n° 13 ; Danses espagnoles pour piano à quatre mains op. 12 ; Album espagnol pour piano à quatre mains op. 21 ; Quatre morceaux pour violon et piano op. 82. Pavel Dombrovsky, Daniel Ziomko, Adam Piorkowski, Eryk Parchanski, piano ; Duo de piano Andriuti-Shemchuck ; Duo Novi Piano ; Duo Effimero. 2019. Livret en polonais et en anglais. 62.27. Dux 1655. 

Même s’il est considéré comme un compositeur allemand, Moritz Moskoswski est né à Breslau, actuelle Wroclaw, dans une famille juive d’ascendance polonaise. Après des études à Dresde et à Berlin, il devient un virtuose qui effectue des tournées internationales et dont on salue les qualités techniques, mais aussi le souci du détail, l’expressivité et le sens poétique. Il épouse la sœur de Cécile Chaminade, dont il divorcera, et s’installe à Paris, où il perd sa fille âgée de 17 ans et meurt dans la misère, suite à de graves difficultés financières. Pour ce Concours International de 2019, la Pologne l’a considéré comme l’un des siens, au point de lui accorder un disque entier dans la présente série. Ce virtuose, qui a été notamment le professeur de Wanda Landowsak, Joaquin Turina ou Vlado Perlemuter, a composé une centaine d’opus, dont les deux tiers sont dédiés au piano. C’est cet aspect de son art qui a été retenu à l’occasion du Concours de Rzeszow. En avril dernier, nous avons salué dans les colonnes de Crescendo la sortie d’un CD Danacord qui consistait en un joli récital de la pianiste japonaise Etsuko Hirose. Le programme du label Dux ne comporte que deux pages de l’affiche de Danacord : Etincelles et l’Etude op. 72 n° 13. Le parcours choisi par Dux permet un voyage tout au long d’une carrière et démontre les hautes exigences techniques de la plupart des partitions. Pour le piano seul, les Etudes de 1886 (opus 24) et de 1903 (opus 72) en apportent la démonstration. Moszkowski se caractérisait lui-même comme un continuateur de l’école de Carl Czerny, qui suivit des cours chez Beethoven ; il avait d’ailleurs étudié à Berlin auprès de Thodor Kullak, élève de Czerny. On ne peut s’empêcher non plus d’y trouver des réminiscences de Chopin et de Mendelssohn. Quatre pianistes se partagent l’ensemble avec brio : Daniel Ziomko et Eryk Parchanski, présents déjà dans le volume 1, ainsi qu’Adam Piorkowski, tous Polonais et Pavel Dombrowsky, de nationalité russe. L’essentiel de ce CD va toutefois au piano pour quatre mains (trois quarts d’heure). On retrouve les époux romano-ukrainiens Andriuti-Shemchuk dans les très célèbres et brillantes Danses espagnoles de 1876, le Duo polonais Novi Piano dans l’Album espagnol de 1879, avec son boléro et son rappel de flamenco, et le Duo polono-israélien Effimero (Marta Sikora au violon et Itamar Prag au piano) pour les Quatre morceaux de 1909, ce qui permet de se souvenir que Moszkowski avait aussi appris le violon et été pendant plusieurs années premier violon d’un orchestre académique berlinois. Les mélodies harmonieuses dessinées par l’archet se marient au clavier avec bonheur.  La notice du livret suggère que le caractère des compositions incluses dans le présent CD peut évoquer un concert que Moszkowski donna à Varsovie le 7 février 1890, au cours duquel il dirigeait ses propres compositions et des pages de Zygmunt Noskowski, considéré comme le père de la musique symphonique polonaise (bien oublié de nos jours, mais que l’on va retrouver dans le volume 5), une prestation qui avait été suivie de commentaires élogieux dans la presse du temps.    

Volume 4 : Artur MALAWSKI (1904-1957) : Trio à clavier ; Conte de fée et Burlesque, pour violon et piano ; Triptyque des Monts Tatras pour piano. Cuore Piano Trio ; Paulina Bujok et Joanna Sochacka, violon et piano ; Ivan Shemchuk, piano. Michal SPISAK (1914-1965) : Humoresque pour piano ; Quintette pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson ; Suite pour deux violons. Piotr Pawlak, piano ; Cracow Golden Quintet ; Duo de violons Gidaszewska et Laguniak. 2019. Livret en polonais et en anglais. 76.36. Dux 1656.

Ce quatrième album nous transporte en plein cœur du XXe siècle. Artur Malawski a enseigné la direction d’orchestre et la composition au Conservatoire de Cracovie ; parmi ses élèves, figurent Krzysztof Penderecki, Witold Rowicki et Wojciech Kilar. Né à Przemysl, une ville à la frontière de l’Ukraine, il étudie le violon à Cracovie, la composition et la direction d’orchestre à Varsovie. Considéré par certains comme le compositeur le plus important du début du XXe siècle après Szymanowski, Malawski, exigeant envers lui-même (il a détruit certaines de ses oeuvres), laisse un corpus peu nombreux de pages pour orchestre, de la musique vocale et de la musique de chambre. Encore inspirées par le romantisme, les deux pièces pour violon et piano Conte de fée (1928) et Burlesque (1940),  ici en première mondiale discographique, jouées par  Paulina Bujok et Joanna Sochacka, toutes deux Polonaises, sont d’une facture qui combine la poésie et l’intensité, la première pouvant être mises en corrélation avec Szymanowski (la notice signale que Malawski est son « successeur oublié »), la seconde avec le folklore de la région podhale, la plus méridionale de la Pologne, au pied des monts Tatras, non loin de Zakopane. Ce même folklore est mis en valeur dans le Triptyque des Montagnes Tatras, dont il existe deux versions, une pour petit orchestre et une pour piano. C’est cette dernière, avec ses rythmes typiques et ses phrases mélodiques, que l’on entend sous les doigts de l’Ukrainien Ivan Shemchuk. Quant au Trio à clavier de 1953, interprété par le Cuore piano Trio, c’est l’une des dernières partitions de Malawski, mort à l’âge de cinquante-trois ans, Ce Trio est considéré comme l’une des grandes œuvres de la musique de chambre polonaise du XXe siècle et a fait l’objet de nombreuses analyses par les musicologues nationaux, qui ont insisté sur la dominante mélodique, les rythmes et les ostinatos qui le traversent. Il s’agit d’une page passionnée, le violon et le violoncelle formant souvent des voix  croisées qui émergent dans le flux pianistique.  

Né en 1914 à Dabrowa Gorrnicza en Silésie, Michal Spisak, victime de la poliomyélite, qui l’immobilise longtemps pendant son enfance, sera de santé fragile tout au long de son existence. Très doué pour le violon, il étudie à Varsovie, puis à Katowice. Grâce à une bourse, il peut se rendre à Paris en 1937 et y rejoint la classe de Nadia Boulanger. Ce compositeur de grande qualité est loin d’être un inconnu chez nous : il a obtenu à deux reprises le Prix International de Composition Reine Elisabeth, en 1953 avec sa Sérénade pour orchestre, et en 1957 pour son Concerto giocoso pour orchestre de chambre. En 1956, pour les Jeux Olympiques de Melbourne, ainsi que pour les Jeux d’hiver de Cortina d’Ampezzo, c’est l’hymne qu’il a écrit qui est retenu parmi près de quatre cents compositions. Spisak se marie avec une Française et s’établit dans l’Hexagone, tout en conservant de nombreux contacts polonais et en tentant d’assurer la promotion de ses compatriotes. Il meurt à Paris, âgé de cinquante ans. De son œuvre essentiellement symphonique et chambriste (il a écrit aussi un opéra, Marynka), on découvre ici une courte Humoresque de 1943 pour piano, aux influences ravéliennes et strawinskiennes, mais aussi espagnoles, jouée par le Polonais Piotr Pawlak, ainsi qu’une Suite pour deux violons, commande de l’Union des Compositeurs Polonais à la fin des années 1950. Spisak compose à cet effet une partition qui alterne la vitalité rythmique et les passages lyriques dans un style néoclassique, que ce créateur n’a jamais abandonné ; le Duo polonais Gidaszewska-Laguniak en donne une belle interprétation. Ce mini-portrait de Spisak est complété par le Quintette pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson de 1948, autre commande de l’Union des Compositeurs polonais. On y retrouve des réminiscences du Sacre du printemps de Strawinsky, que Spisak admirait beaucoup, dans l’Andante central, l’ensemble des trois mouvements utilisant avec finesse les couleurs des cinq instruments.

Volume 5 : Jozef ELSNER (1769-1854) : Sonates pour violon et piano op. 10 n° 1 et n° 3. Ignacy Feliks DOBRZYNSKI (1807-1867) : Rondo alla polacca, op. 6 pour piano à quatre mains ; Trio à clavier op. 17 : Allegro moderato ; Andante e rondo alla polacca pour flûte et piano. Zygmunt NOSKOWSKI (1846-1909) : Sonate pour violon et piano. Roksana Kwasnikowska et Lukasz Chrzeszczyk, violon et piano ; Duo Effimero ; Duo de Piano Andriuti-Shemchuk ; Cuore Piano Trio ; Polish Art Duo. 2019. Livret en polonais et en anglais. 78.38. Dux 1657.

Retour au XIXe siècle pour ce cinquième volume, et même à la fin du XIXe pour les deux Sonates pour violon et piano de Jozef Elsner (« homme de la Renaissance », comme le caractérise la notice) qui datent des environs de 1798. Le plus grand titre de gloire de ce violoniste, né à Grottkau en Silésie, qui se rendit à Vienne pour y étudier la médecine, mais se consacra avant tout à la musique et tint un rôle important dans l’organisation de la vie musicale polonaise en fondant plusieurs écoles, est d’avoir été le professeur de Frédéric Chopin, auquel il donna des cours privés dès 1826 et dont il examinait de manière libérale les exercices de composition (Tadeusz A. Zielinski : Frédéric Chopin, Paris, Fayard, 1995, p. 72). Les deux hommes conservèrent par la suite des relations cordiales. Les deux sonates proposées ici par le Duo polonais Kwasnikoswa-Chrzeszczyk (n° 1) et le Duo polono-israélien Effimero (n° 3) sont de facture classique, dans la tradition viennoise, et permettent un dialogue expressif, harmonieux et varié entre les deux instruments. Ils témoignent de la capacité créative de Jozef Elsner et de sa connaissance pointue de la technique du violon.    

Autre élève d’Elsner, Ignacy Felix Dobrzynski. Ce fils de violoniste choisit le piano et se retrouve dans la classe de Chopin, dont il devient un ami. En Allemagne où il effectue des tournées, il connaît un large succès, qui s’explique à l’écoute du Rondo alla polacca pour quatre mains, initialement prévu avec orchestre, une partition brillante, enjouée, aux accents virtuoses, très bien servis par le duo Andriuti-Shemchuk. Même impression de vitalité et de force expressive dans l’extrait (Allegro moderato) du Trio à clavier par le Cuore Piano Trio et dans le superbe Andante e rondo alla polacca op. 42 pour flûte et piano des environs de 1843, plein de grâce, de légèreté, avec une partie de flûte éblouissante. Le Polish Art Duo (Martyna Klups-Radny et Wioletta Fluda au piano) le rend avec une verve réjouissante.

Troisième compositeur de ce volume 5, Zygmunt Noskowski est représenté par une Sonate pour violon et piano qui date de la période où ce compositeur, né à Varsovie, concepteur d’une méthode musicale pour aveugles, étudie à Berlin auprès de Friedrich Kiel, avant 1875. La notice nous apprend que près de vingt ans plus tard, en 1893, Noskowski enverra sa sonate à Bruxelles pour un concours de composition ; il reçut pour elle une mention honorable, mais fut gratifié en même temps d’un premier prix pour une partition destinée à l’orchestre, de quatre seconds prix, d’un troisième prix et d’une dernière mention honorable, pour les diverses catégories dans lesquelles il proposa des oeuvres. La présente sonate est typique d’un postromantisme teinté de classicisme, au caractère mélodieux et lyrique, harmoniquement riche, avec des citations de danses. Le violon se livre à des figures impressionnantes qui réclament la virtuosité dont fait preuve la Polonaise Roksana Kwasnikova, son compatriote Lukasz Chrzesczyk se révélant un complice idéal. 

Volume 6 : Lauréats du concours. Teodor LESCHETITZKY (1830-1915) : Arabesque en forme d’étude op. 45 n° 1 pour piano. Aleksander TANSMAN (1897-1986) : Sonata rustica pour piano. Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Etude op. 10 n° 4 pour piano. Henryk Mikolaj GORECKI (1933-2010) : Sonate pour piano op. 6 n° 1. Witold MALISZEWSKI (1873-1939) : Cinq Variations op. 5 n° 4 pour piano. Joachim KACZKOWSKI (ca. 1789-1829) : Duo concertant pour deux violons op. 10 n° 1. Tadeusz PACIORKIEWICZ (1916-1998) : Sonatine pour deux violons : Presto. Karol SZYMANOWSKI (1882-1937) : Quatuor à cordes op. 56 n° 2. Wojciech KILAR (1932-2013) : Quintette pour flûte, hautbois, clarinette, basson et cor. Pavel Dombrovsky, Piotr Ryszard Pawlak et Mateusz Krzyzowski, piano ; Duo Gidaszewska-Laguniak ; Quatuor Atma ; Cracow Golden Quintet. 2019. Livret en polonais et en anglais. 77.47. Dux 1658.

Après le large parcours effectué dans la musique des XIXe et XXe siècles polonais pendant ces journées du 20 au 27 septembre 2019, le moment est venu de connaître les lauréats qui ont été couronnés à l’issue de ce Concours International Stanislaw Moniuszko. Dans la catégorie consacrée au piano, malgré la présence d’une majorité d’artistes nationaux, le Premier Prix a été attribué au Russe Pavel Dombrovsky, qui a étudié avec Vera Nossina à l’Ecole Supérieure de Musique Gnessin à Moscou (il y enseigne maintenant), puis au Conservatoire Tchaïkowski. Il a remporté d’autres concours (Athènes, 1996 ; Krasnodar, 2006…) et a été lauréat de plusieurs autres compétitions, dont une cinquième place au Long-Thibaud en 2004. On le retrouve ici dans trois partitions : une Arabesque sous forme d’Etude de Leschetitzky et une Etude de Chopin, toutes deux maîtrisées, et dans la nostalgique et festive Sonata rustica de Tansman. Le Polonais Piotr Ryszard Pawlak, Deuxième prix, né en 1998, a fait ses études à l’Académie de Musique de Gdansk et a lui aussi reçu des récompenses pour sa participation à d’autres concours (notamment un Concours Godowski à Varsovie). En 2004, il a remporté une bourse d’études sponsorisée par Krystian Zimerman. Il donne à la Sonate de Gorecki de 1956 ses nets accents rythmiques. Le Troisième Prix est allé au Polonais Mateusz Krzyzowski, qui, au contraire des deux autres lauréats, ne figurait sur aucun des cinq premiers volumes du Concours. Ce pianiste né à Tichy en 1999 a gagné le Premier Prix au Festival Chopin au début de 2019 et est lui aussi titulaire de plusieurs récompenses. On aurait aimé l’entendre plus longuement que dans les sept minutes assez conventionnelles des Cinq Variations de Maliszewski, qui datent de 1901.

Dans le domaine de la musique de chambre, les trois principaux prix ont été donnés à des formations polonaises. Le Premier Prix est l’apanage du duo formé par les violonistes Marta Gidaszewska et Robert Laguniak, déjà entendus dans le volume 4 pour la Suite de Spisak. Formé en 2004, ce duo est un habitué des concours. On le retrouve ici dans une première discographique mondiale, le Duo concertant op. 10 n° 1 de Kaczkoswki, publié à Leipzig en 1812. Une œuvre hédoniste qui procure un beau moment d’écoute. Un court Presto, extrait de la Sonatine de Paciorkiewicz, vient s’y ajouter. Le second Prix va au Quatuor Atma (Katarzyna Gluza et Paulina Marcisz, violons, Karalina Orsik-Sauter, alto et Dominika Szczypka, violncelle), très convaincant dans les deux quatuors de Moniuszko (volume 1) et dans celui de Lessel (volume 2). Ici, c’est un Quatuor de Szymanowski qui met cet ensemble féminin en valeur, l’opus 56 n° 2, peu joué car considéré comme techniquement difficile. Les deux premiers mouvements sont seuls reproduits ; l’un d’eux cite notamment un passage d’un chant montagnard du ballet Harnasie. Le Cracow Golden Quintet (Natalia Jarzabec, flûte ; Damian Swist, hautbois ; Tomasz Sowa, clarinette ; Malgorzala Wygoda, basson et Konrad Golda, cor) est Second prix ex-aequo avec le Quatuor Atma. Cette formation était déjà audible dans le Quintette de Spisak (volume 4). C’est le Quintette de Kilar qui clôture ce sixième volume. Cette partition de jeunesse a été écrite en 1952, à l’âge de vingt ans ; Kilar y est encore sous l’influence néo-classique.

Il faut saluer comme il convient cette remarquable entreprise de mise en valeur de la musique polonaise. Le projet pour commencer, ainsi que les organisateurs et les participants. Le label Dux, de plus en plus productif et qualitatif, permet d’avoir accès à un riche patrimoine, mais aussi à la découverte de talents de réelle valeur. Tous ces enregistrements ont été effectués en public et réalisés avec un grand soin ; quant à la présentation des disques, elle est sobrement élégante, avec une jolie pochette aux couleurs chaudes, identique pour toute la série. Les notices sont fouillées, très documentées, et représentent à cet égard un apport de taille à la connaissance approfondie des compositeurs et de leurs oeuvres, mais aussi des divers interprètes. Des Informations complémentaires sur ce Concours et tous ses aspects sont disponibles sur www.konkursmuzykipolska.pl. Le détour en vaut la peine. Face à un tel projet et à sa réalisation, on ne peut qu’attribuer une note globale de haute satisfaction.

Note globale : 9

Jean Lacroix

 

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