Six facettes du concerto pour piano britannique au XXe siècle
John Addison (1920-1998) : Wellington Suite, pour deux cors, piano, timbales, percussion et cordes. Arthur Benjamin (1893-1960) : Concertino pour piano et orchestre. Elizabeth Maconchy (1907-1994) : Concertino pour piano et orchestre à cordes. Humphrey Searle (1915-1982) : Concertante pour piano, percussion et cordes op. 24. Edmund Rubbra (1901-1986) : Nature’Song, poème symphonique pour orchestre, orgue et pianoforte. Geoffrey Bush (1920-1998) : A Little Concerto sur des thèmes de Thomas Arne pour pianoforte et cordes. Simon Callaghan, piano ; BBC National Orchestra of Wales, direction Martyn Brabbins. 2021. Notice en anglais. 68.33. Lyrita SRCD 407.
Le pianiste anglais Simon Callaghan (°1983) a achevé sa formation au Royal College of Music de Londres où il a eu pour professeur un élève de Myra Hess, le Sud-Africain Yonti Solomon, qui fut un accompagnateur de Mstislav Rostropovitch lors de récitals. Callaghan, dont la carrière s’est vite internationalisée, propose un répertoire qui va de Bach au XXe siècle. Il a enregistré pour les labels Somm, Resonus, EM Records ou Nimbus. Il envisage d’ici la fin de 2023 quatre albums pour Hyperion, consacrés à des concertos romantiques. Pour le label Lyrita, il entame une série destinée à graver des concertos britanniques en première mondiale, avec le BBC National of Wales dirigé par Martyn Brabbins (°1959) qui compte à son actif quelques références en musique anglaise. Voici le premier volume d’un projet que les admirateurs de la musique insulaire salueront comme il se doit.
Le programme propose six concertos de compositeurs britanniques du XXe siècle. John Addison ouvre le feu avec sa Wellington Suite. Il s’agit d’une commande de 1959 du Wellington College, à l’occasion du centenaire de l’établissement qui porte le nom du célèbre duc, vainqueur de Napoléon à Waterloo, et est situé à Crowthorne, dans le Comté de Berkshire, au sud-est de l’Angleterre. Addison est un ancien élève de ce collège. Ses études musicales à Londres ont été interrompues par la guerre (plus de mille anciens du Wellington College sont morts au combat pendant les deux conflits mondiaux), avant qu’il ne poursuive sa formation avec Gordon Jacob. C’est avant tout un compositeur de musique pour le cinéma (Tom Jones lui a valu un Oscar) et la télévision (des documentaires). Mais son catalogue symphonique ou de chambre n’est pas à négliger. La Wellington Suite est destinée à un petit ensemble qui comprend deux cors, un piano, des timbales, de la percussion et des cordes. Une œuvre agréable, en quatre mouvements d’une durée globale de dix-sept minutes, destinée à un moment de divertissement qui atteint son but, avec des effets pianistiques et des cors colorés à souhait. Une vraie page de circonstance.
Né en Australie, à Sydney, Arthur Benjamin s’est formé à Brisbane puis à Londres, dès ses 18 ans, avec Sir Charles Villiers Stanford. Il a combattu en France pendant la Première Guerre mondiale, avant de retourner dans son pays natal où il a enseigné. Revenu à Londres, il y est devenu professeur de piano pendant quelques années. Entre 1941 et 1946, il a été directeur musical du Symphonique de Vancouver, avant un retour définitif à Londres. Son catalogue est abondant : des opéras dont un Tartuffe d’après Molière, de la musique de scène, des pages symphoniques dont plusieurs concertos, et de la musique de chambre. Son Concertino pour piano et orchestre de 1927 s’inspire de la Rhapsody in blue de Gershwin. Benjamin était impressionné par le jazz et par les prestations de Paul Whiteman (1890-1967), sacré aux USA « roi du jazz » dans les années 1920. L’œuvre de Benjamin fut jouée aux Proms le 1er septembre 1928 avec le compositeur au piano, ce qui était une première dans ce cadre. En un seul mouvement d’un peu moins d’un quart d’heure, le Concertino développe plusieurs sections de caractères différents, la trompette ou le saxophone donnant à l’ensemble une atmosphère jazzy que la percussion soutient avec un rythme soutenu. C’est très ludique.
D’origine irlandaise, Dame Elizabeth Maconchy étudie à Londres avec Vaughan Williams et Charles Wood au Royal College of Music de Londres. En 1929, à l’âge de vingt-deux ans, elle est à Prague auprès de Karel Jirák, élève de Novák et de Foerster, et découvre les tendances expressionnistes ; on y joue même l’une de ses œuvres. De retour en Angleterre, elle s’adonne sans cesse à la composition ; elle laisse un copieux catalogue dont plusieurs opéras, des pages orchestrales, de la musique de chambre et vocale. Appréciée et reconnue en terre britannique, Maconchy écrit en 1949 un Concertino pour piano et cordes d’une douzaine de minutes, en trois mouvements lyriques et expressifs, en particulier dans le Lento, serioso central, qui précède un final aux rythmes de danse. Une partition bien séduisante.
Natif d’Oxford, Humphrey Searle a été un élève de John Ireland mais aussi, à Vienne, d’Anton Webern dont l’influence sur sa création sera fondamentale. Sa carrière s’est déroulée entre Londres et les Etats-Unis, où il a été compositeur en résidence en Californie. Connu aussi pour ses travaux sur Franz Liszt, Searle laisse lui aussi un catalogue varié dont l’opéra Hamlet. Il est ici représenté par une pièce de quatre minutes que lui commanda Hermann Scherchen en 1954 ; le chef d’orchestre en donna la première au Festival allemand de Donaueschingen. Ce bref Concertante est un morceau imaginatif, résolument énergique, au sein duquel les cordes sont ponctuées par les timbales, avec des effets de glissandos très réussis. Le piano virevolte dans cet espace quelque peu dissonant, qui contient une astucieuse mini cadence.
C’est à l’âge de dix-neuf ans, en 1920, qu’Edmund Rubbra, originaire de Northampton, compose son poème symphonique Nature’s Song pour orchestre, orgue et pianoforte, sa première partition pour formation symphonique. Curieux destin que celui de Rubbra : né dans une famille de musiciens où sa mère lui apprend le piano, il travaille en usine dès ses quatorze ans, après avoir délaissé l’école. Mais pas la musique ! Il apprend en autodidacte, puis décroche une bourse qui lui permet d’entrer au Royal College of Music de Londres. Il y reçoit l’enseignement de Gustav Holst puis de Vaughan Williams. Il deviendra professeur à Oxford, se convertira au catholicisme et écrira beaucoup de musique sacrée, mais aussi onze symphonies. Pianiste virtuose, il se produit en concert ou en musique de chambre. C’est l’un des compositeurs les plus attachants de l’école britannique du XXe siècle. Son Nature’s Song est basé sur un poème spiritualiste qu’il a lui-même écrit. Cette page d’un peu moins de dix minutes est une belle évocation au climat pastoral, à la fois noble et dramatique, mais elle montre surtout qu’à moins de vingt ans, Rubbra était un élément des plus prometteurs. On a longtemps cru le manuscrit perdu, jusqu’à des découvertes récentes. La notice de Paul Conway nous apprend que Simon Callaghan a utilisé les sources pour reconstituer la partition, dont la première avait été donnée en 1921, le compositeur étant alors au piano et Gustav Holst à la direction.
Dernière œuvre à l’affiche : A Little Concerto sur des thèmes de Thomas Arne, une page de 1939 signée par le Londonien Geoffrey Bush, élevé parmi les choristes de l’Ecole de la Cathédrale de Salisbury, avant d’étudier de façon informelle avec George Malcolm. Bush se consacra à l’enseignement tout en occupant un poste d’organiste et de critique musical. Il a arrangé plusieurs pages de compositeurs du passé dont Matthew Locke. Créée en 1941 à la BBC, l’œuvre ici enregistrée du pacifiste qu’était Bush, d’une durée d’une dizaine de minutes et en quatre mouvements, retrouve le raffinement du compositeur Thomas Augustine Arne (1710-1778), ainsi que l’élégance mélodique du XVIIIe siècle.
Simon Callaghan, très à l’aise dans les univers variés qu’il propose, est en belle connivence avec l’orchestre que dirige le chevronné Martyn Brabbins. Les pages concertantes que l’on découvre ici donnent accès à une meilleure connaissance de la musique britannique : à part le Concertino d’Arthur Benjamin, les cinq autres partitions sont en effet des premières discographiques. On attend le volet suivant de la série annoncée.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix