Concertos pour piano britanniques inédits : un attrayant divertissement

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Philip Cannon (1929-2016) : Concertino pour piano et cordes. John Addison (1920-1998) : Concertino pour piano et orchestre ; Conversation Piece. Francis Chagrin (1905-1973) : Concerto pour pianoforte et orchestre. Simon Callaghan, piano ; BBC National Orchestra of Wales, direction William Boughton. 2023. Notice en anglais. 66’ 41’’. Lyrita SRCD 444.

Le label Lyrita, si précieux pour la connaissance de la musique britannique en raison de son catalogue éclectique mais aussi de ses notices abondantes et érudites, propose une série d’albums consacrés à des concertos pour piano, méconnus et majoritairement en première discographique, de compositeurs du Royaume-Uni. Entamée en 2022, cette série est marquée par trois constantes. Les deux premières se situent au niveau des interprètes : le pianiste anglais Simon Callaghan (°1983) et le BBC National Orchestra of Wales, avec des chefs différents à sa tête. L’autre constante est la présence, dans chacun des trois albums parus, du compositeur John Addison.  Le premier volume (notre article du 15 juillet 2022) alignait six compositeurs, Martyn Brabbins dirigeait ; le deuxième en honorait trois, Stephen Bell et George Vass étaient à la baguette. Le nouveau en distingue encore trois. Cela fait beaucoup de musique inédite à découvrir, et des plus divertissantes. 

John Addison est le créateur le plus mis en lumière, nous l’avons dit. On ne le confondra pas avec le Londonien Richard Addinsell (1904-1977), devenu célèbre par son Concerto de Varsovie, écrit dans l’esprit de Rachmaninov pour un film de 1941. Originaire du Surrey, formé au Royal College of Music par Gordon Jacob en ce qui concerne la composition, Addison voit ses études interrompues par la guerre, où il sert dans la cavalerie. Son diplôme en mains après le conflit, il devient enseignant en ce même Royal College, avant de se consacrer uniquement à l’écriture musicale en 1958 et de briller dans la musique pour le cinéma. Celle de Tom Jones lui vaut un Oscar en 1971, celle d’Un pont trop loin, une nomination pour la même distinction, six ans plus tard. En 1975, Il s’établit aux USA, où il décédera.

Les deux premiers volumes de la série avaient fait connaître ses Variations pour piano et orchestre (1948) et sa Wellington Suite (1959), des pages plaisantes, qui confirmaient notamment la réputation d’Addison pour son utilisation des vents. Son Concertino (1958) en trois mouvements est tout aussi attrayant, marqué par des mélodies insouciantes et une narration décorative, avec une orchestration parfois opulente, et un Vivace final qui ne néglige pas des allusions au jazz.  C’est une musique de langage traditionnel, qui parle au cœur, le piano se voyant offrir des moments chaleureux, flegmatiques ou dansants. Une autre page, Conversation Piece, elle aussi de 1958, est une fantaisie pour piano et orchestre en un mouvement divisé en cinq sections qui allient l’insouciance d’une valse langoureuse à une éloquence contemplative, le tout se concluant par un geste vivement animé.     

Avant Addison, le programme a débuté par le Concertino pour piano et cordes (1951) de John Cannon, né à Paris d’une mère bourguignonne et d’un père marin issu des Cornouaille. Élevé en Angleterre dès ses six ans, il suit les cours de violon et de piano au Royal College of Music, dans la classe de Gordon Jacob, reçoit des leçons de Vaughan Williams et prend des cours privés auprès de Paul Hindemith. Ses compositions sont souvent postromantiques. Ici, c’est le néoclassicisme qui domine, dans un contexte élégant qui établit dans l’Allegro moto vivace initial des rythmes proches de la rêverie. L’Andante tranquillo fait tout de suite penser à l’univers de Poulenc, la délicatesse du piano s’alliant à des pizzicati de cordes. Le Presto final, léger et pétillant, contient quelques échos de jazz, avant un épisode gracieux qui conduit à une conclusion brillante. 

Le troisième compositeur, Francis Chagrin, de son vrai nom Alexander Paucker vient de Bucarest, où il est né. Il étudie à Zurich, obtient en 1928 un diplôme d’ingénieur, mais sa vocation, à laquelle sa famille s’oppose, est la musique. Il se rend à Paris et suit en 1933/34 des cours auprès de Nadia Boulanger et Paul Dukas ; pour subvenir à ses besoins, il joue dans des nightclubs et écrit de la musique légère. Il adopte son nouveau nom, à consonance française. Il se perfectionne à Londres auprès de Mátyás Seiber, compositeur hongrois naturalisé britannique qui a été un élève de Kodály, et s’installe dans la capitale. Pendant la guerre, il compose pour les services français de la BBC et écrit ensuite pour le cinéma et pour la télévision. On retiendra les film The Colditz Story (1955) de Guy Hamilton, et l’émouvant Greyfriars Bobby (1961), une production Disney. Le Concerto pour piano et orchestre de Chagrin date de 1943 ; il a été révisé en 1969, c’est la version que l’on entend ici. L’’inspiration est néoromantique, avec un Risoluto initial entre rythmes et lignes pianistiques fluides. Le Lento, molto tranquillo central est nourri par une sérénité très expressive, l’Allegro final est résolu et même obsessionnel, dans un rythme de boléro bien marqué C’est sans doute la partition la plus attachante de l’album.

Ces premières discographiques ne sont certes pas des pages révolutionnaires. Elles s’adressent avant tout aux amateurs de raretés ou aux fans de musique anglaise. Mais leur écoute procure de vrais moments de plaisir musical. Le pianiste Simon Callaghan, dont la discographie est riche en œuvres inédites, apporte beaucoup de soin à varier les couleurs et le dynamisme de ces concertos inédits. Sa virtuosité, son expressivité et son sens des nuances font merveille. Le BBC National Orchestra of Wales, confié cette fois à William Boughton (°1948), lui offre un partenariat de qualité.

Son : 8, 5    Notice : 10    Répertoire : 8,5    Interprétation : 10

Jean Lacroix      

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