L’Orchestre National d’Auvergne fête ses 40 ans en rendant hommage à Jane Evrard  

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Jane Evrard Miroirs. Albert Roussel (1869-1937) : Sinfonietta pour orchestre à cordes Op.52 ; Jean Rivier (1896-1987) : 3e symphonie en Sol pour orchestre à cordes ; Arthur Honegger (1892-1955) : Symphonie n°2 pour orchestre à cordes et trompette Ad.Lib H.153. Romain Leleu, trompette ; Orchestre national d’Auvergne, Roberto Forés Veses. 2021. Livret en français et anglais. ONA 2022/2/1. 

Lors de sa récente prise de fonction, la nouvelle Première Ministre Française a rendu un vibrant hommage à plusieurs femmes d’exception et marquantes dans la lutte pour l’égalité des droits entre les sexes. L’année 2022 marque d’une certaine manière une avancée significative en la matière, en tout cas à la tête de plusieurs institutions tricolores comme l’Assemblée Nationale. Cette normalisation, trop tardive, ne se limite pas heureusement au secteur politique, que cela soit en France ou dans le monde. La féminisation est en marche. 

La direction d’orchestre ne fait pas exception. Eun Sun Kim, Marin Alsop, Debora Waldman, Simone Young ou bien encore Laurence Equilbey sont maintenant autant de noms familiers des mélomanes. Mais comme en politique, pour y parvenir, la musique a aussi eu besoin de ses pionnières comme Alma Mahler, Augusta Holmès, Ethel Smyth ou plus proche de nous Nadia Boulanger. A cette liste non exhaustive nous ajouterons la charismatique Jane Evrard (née Jeanne Chevallier) qui fait l’objet d’un hommage discographique de la part de l’Orchestre National d’Auvergne. Il est intéressant de noter que cet enregistrement fait partie d’un duo publié à l’occasion des 40 ans de la phalange. Le symbole en est d’autant plus fort. 

Pionnière ? Jane Evrard en est assurément une. Elle fut l’une des premières femmes à devenir cheffe d’orchestre professionnelle et à la tête d’une formation féminine qu’elle créa à Paris en 1930. Un orchestre de femmes dirigé par une femme, cela en dit long sur la difficulté dans ce milieu… Composé de 25 instrumentistes : l’Orchestre féminin de Paris se produira jusqu’en 1943 ! 

L’hommage de l’Orchestre National d’Auvergne intitulé Miroirs porte bien son nom car il met également en lumière une autre facette de cette femme novatrice, véritable moteur dans le processus créatif d’artistes confirmés grâce à ses commandes d’œuvres nouvelles dont elle assura la création. Tout un répertoire propre à l’entre-deux guerre. 

Au programme de cet album la Sinfonietta d’Albert Roussel, la Symphonie n° 3 de Jean Rivier mais aussi la trop rare Symphonie n° 2 d’Arthur Honegger.  Pour le dernier mouvement de la symphonie d’Honegger,  le soliste retenu à la trompette est Romain Leleu que l’on ne présente plus. Les Auvergnats sont dirigés comme souvent par Roberto Forés Veses, leur directeur musical et artistique entre 2012 à 2021. Bref tout est là pour offrir à l’auditeur un beau voyage à travers les couloirs du temps. Une époque d’une rare modernité ! 

La Sinfonietta de Roussel a vraiment tout d’une grande ! Même s' il s’agit d’une œuvre qui ne se laisse pas facilement saisir, les Auvergnats parviennent à en prendre la mesure. On mesure note après note à quelle point l’écriture de Roussel est exigeante et réclame une redoutable efficacité. Forés Veses nous en offre une vision forte, large et mesurée. 

Il y a du Schopenhauer dans l’œuvre symphonique d’Arthur Honegger ! Il est difficile, voire impossible, de lutter dans la Deuxième Symphonie pour cordes et trompette ad libitum contre les versions inégalées de Karajan (DGG) et Munch (RCA avec l'Orchestre Symphonique de Boston et Warner avec l'Orchestre de Paris) et ce n’est pas ce que nous attendons ici. L’engagement et la motricité de l’orchestre sont bien là, presque impressionnants. Clarté et puissance de l’architecture participent à cette belle réussite. Mention spéciale à Romain Leleu dans le dernier mouvement.

Nous gardons la grande découverte de cet album pour la fin avec la  3e Symphonie  en sol majeur, pour orchestre à cordes de Jean Rivier (1896-1987). Il y a du Shostakovich dans cette œuvre : humour et mélancolie s’entremêlent pendant une vingtaine de minutes. Ce contemporain de Milhaud, Messiaen ou bien encore Jolivet se veut sobre, dépouillé, dans un style proche d’une forme de romantisme, à contre-courant de la vague atonale de son temps. 

C’est une belle page oubliée de la grande histoire de la musique française que nous offre l’ONA. Merci pour ce travail de défrichement ! Notons qu’il s’agit du premier enregistrement de la Symphonie n°2 d’Honegger par un orchestre français depuis celui de Michel Plasson avec le Capitole de Toulouse en 1979 pour EMI !  

Comme toujours l'album est accompagné d’un écrin et d’une notice de première qualité. La volonté de magnifier les œuvres et leurs compositeurs est toujours la même. A notre époque où la musique devient de plus en plus virtuelle, cela fait du bien se retrouver ce genre de sensations. 

En ce lendemain de fête nationale, quel plus bel hommage pouvions-nous rendre à la musique française qu’en parcourant avec ferveur ces trois œuvres méconnues de notre patrimoine ? Nous ne pouvons qu’encourager l’ONA dans cette voie de l’exploration du patrimoine musical !  

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Bertrand Balmitgère

 

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