Sokolov, récital monegasque
Grigory Sokolov prolonge une relation intense avec le public monégasque qui se presse à en grand nombre à l'Auditorium Rainier III pour se laisser enchanter par la musicalité débordante du pianiste. La salle est plongée dans le noir et la scène est dans la pénombre.
Sokolov entre sur scène complètement introverti, immergé dans son art. Il fait oublier le temps et l'espace.
Avec un génie qui garantit toujours une perspective unique sur chaque œuvre à laquelle il se consacre, Sokolov se dédie à un seul programme chaque saison, projetant sa vision dans chaque pièce aussi profondément que possible. Tout est fignolé jusqu'au moindre détail.
Le public de Berlin, Barcelone, Budapest, Buenos-Aires, Helsinki, Paris, Salzbourg, Vienne et Zürich découvriront au même titre que Monte-Carlo le programme très contrasté de cette saison. Deux compositeurs séparés par près de trois cents ans : le compositeur de la Renaissance William Byrd et le romantique Johannes Brahms.
Byrd au piano... Que Sokolov, maître des styles, remonte jusqu’à la Renaissance n’est qu’une preuve supplémentaire de sa maîtrise. Il explore la musique de Byrd depuis plus de 15 ans.
Tout comme pour Purcell qu'il a interprété il y a deux ans, il n'y a aucun problème à adapter Byrd à un instrument moderne. Au contraire, cela apporte quelque chose en plus à cette musique, qu'il recrée avec une touche de modernité.
Il imite, intentionnellement ou non, le clavecin. Le rythme exceptionnel de Sokolov, son articulation et son toucher exceptionnels sont tout simplement époustouflants. L'interprétation est convaincante, sans exagérer la dynamique.
Aucun autre pianiste vivant ne peut égaler ces superbes trilles et ornements.
En deuxième partie les Quatre Ballades op.90 et deux Rhapsodies op.79 de Brahms, des œuvres très différentes, qu'il joue sans interruption.
Son interprétation des Ballades est très sombre, mélancolique et profonde. Il communique ses états d'âme qu'il joue avec intelligence, sensibilité et grandeur.
Grâce aux nuances exquises de ses phrases incroyablement longues, Sokolov s'attarde et peut adopter des tempos plus lents, sans perdre la cohésion de l'œuvre.
Les deux Rhapsodies comptent parmi les œuvres pianistiques les plus célèbres de Brahms. Dans son interprétation de la partie centrale légèrement schubertienne de la première rhapsodie et de la forme sonate turbulente de la deuxième rhapsodie, Sokolov privilégie la retenue à l'émotion et à la tension.
Il montre toujours des voix cachées et des façons alternatives de jouer ces morceaux.
Lorsque Sokolov touche le clavier, même les passages les plus exigeants techniquement semblent légers et naturels.
Sublime, comme toujours, le son reflète à la fois la pureté de l'âme de cet homme et la quête inébranlable de l'excellence qui anime chaque instant de sa vie. Écouter le Maestro jouer est une expérience spirituelle.
Son endurance est admirable : six rappels ne font pas exception, c'est un récital supplémentaire. Le sortilège se prolonge !
C’est l’art du moment qui rend les performances de ses bis si séduisantes. Son jeu est fascinant, émotionnellement et rationnellement équilibré, expansif et expressif.
Ce son ouvert, cette audace, cette générosité sonore, cette personnalité… quel géant !
Une Mazurka de Chopin, Les sauvages de Rameau, son morceau phare, une autre Mazurka de Chopin, une autre pièce de Rameau, du Chopin et pour terminer le miraculeux Prélude de Bach dans la transcription de Siloti.
Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 27 avril 2025
Crédits photographiques : Oscar Tursunov