Beethoven et Brahms magnifiés par Grigory Sokolov à Aix-en-Provence

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Le 28 juillet, dans le cadre du Festival international de piano La Roque d’Anthéron, Grigory Sokolov a donné un récital au Grand Théâtre de Provence. Après Alfred Brendel en 2008 (ce sera son unique récital dans ce Festival et en décembre de la même année il a mis fin à ses activités en solo), le Festival accueille au Grand Théâtre de Provence un géant qui refuse de jouer en plein air. La scène est à peine éclairée d'une lumière orangée, juste pour permettre au pianiste de voir le clavier. Imperturbable comme à l’accoutumée, le maître russe a l’allure d’un sage qui, par un simple exposé de son art, illumine l’esprit. Le programme qu’il a choisi renforce cette image : la Sonate n° 3 en ut majeur op. 2 n° 3 et les Onze Bagatelles op. 119 de Beethoven, puis les Klavierstücke op. 118 et 119 de Brahms.

Beaucoup d’encre a coulé sur son interprétation, sur son génie, tant de pages se sont noircies. Nous n’avons peut-être rien à ajouter à ce qui s’est déjà dit mais essayons tout simplement d’évoquer nos impressions.

Chacun des quatre mouvements de la Troisième Sonate de Beethoven est entièrement dominé par un tempo qu’on ne peut imaginer plus adéquat et extrêmement régulier. Mais à intérieur de cette régularité d'horloge se glissent de  subtils micro-changements de tempo, ranimant les pièces d’une manière que lui seul serait capable de réaliser. C’est particulièrement le cas du « Scherzo » ; rythmée par un métronome intérieur, la pièce poursuit son cours, apparemment impassible, mais elle est à la fois tellement vivante et pétillante… La magie Sokolov opère, indubitablement. Dans les Bagatelles, c’est le règne de la simplicité de formes, de sons, d'approche. Mais cette simplicité raconte mille choses différentes, mille états sonores, mille variétés de couleurs, avec des visions projetées très loin. Ainsi, dans la Sixième Bagatelle en sol majeur, l’andante introductif sonne étonnamment comme Chopin ! Son art, qui est en définitive tout un monde, nous captive et nous intrigue. Il nous intrigue car insondable est le secret de ses touchers engendré par ses gestes unis et harmonieux des épaules jusqu’aux doigts, passant par les bras, les coudes, les poignets puis les mains ; le secret de ses gestes, semblables à une chorégraphie pleine de grâce, n’a encore jamais été percé par un autre pianiste…

Après l’entracte, les dix Klavierstücke enchaînées comme s’il s’agissait d’un seul et unique cycle. Il confère alors une cohérence plus que jamais évidente aux discours brahmsien. Son interprétation fondamentalement introspective, même pour des « Allegros » énergiques, renforce notre impression initiale, celle de rencontrer un sage. Chez lui, rien n’est fabriqué, tout est absolument naturel, si naturel qu’on reste bouche bée, stupéfait. Plus que ces fortissimos qui vous plaquent au mur de son art, plus que ces aspects toujours chantants, et plus que la beauté de ses legatos, le plus stupéfiant est probablement l’intimité du silence qui règne dans certains mouvements lents. Ainsi, de « Romance » (5e pièce de l’op. 118) à l’« Adagio » (1re de l’op. 119), les notes qu’il frôle avec juste ce qu’il faut de pesanteur sont discrètes et dévoilent, à peine, l’infinité de son univers insondable. Les nombreuses toux dans la salle, par moments plus que gênantes, se sont tues complètement devant ce silence. Quelle émotion et quel privilège il nous réserve !

Les émotions ne s’arrêtent pas là. Il propose six bis, comme il le fait souvent. Un Moment musical de Schubert, une Mazurka lente de Chopin, Les Sauvages de Rameau (quels ornements !), un Intermezzo (op. 117 n° 2) de Brahms, un Prélude de Rachmaninov et un Allegro en do majeur (des Trois pièces D. 946), offrant un mini-panorama de tous les états pianistiques.

Crédits : Vico Chamla

Victoria Okada

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