Somme de talents aux BBC Proms de Londres

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L’été à Londres, c’est comme toujours la saison des Proms qui bat son plein, avec ce mélange d’affiche artistique de très haute qualité et de décontraction toute britannique du public qui fait le charme unique et fédérateur de ce festival de musique classique, toujours unique au monde par sa durée et sa programmation.

Adulé du public londonien et des musiciens du BBC Symphony Orchestra, Semyon Bychkov célébrait les 50 ans de la création de la Sinfonia de Berio dans un programme “moderniste” comprenant la Valse de Ravel et le Sacre du Printemps de Stravinsky, les deux dernières partitions étant explicitement citées par Berio dans sa pièce. Dans ce programme tellurique, on surprend le chef d’orchestre à privilégier d’abord l’élégance du geste et le raffinement des textures. Sa Valse est un modèle de beauté des timbres. On retrouve cette même vision esthétisante dans une Sinfonia, moins abrasive et révoltée que vue désormais comme un classique de l‘Histoire de la musique. La conflagration des masses instrumentales et vocales s’avérant plus travaillée dans ses timbres que véritablement à la recherche d’une radicalité, désormais plutôt vaine.

En conclusion, le Sacre du printemps était l’apothéose logique de ce concert. Comme dans la première partie, le chef débute sa lecture en travaillant avec soin les pupitres dans une optique plus élégante que violente, mais il prend le temps d’imposer les climax pour tendre l’arc dramatique au maximum et faire ressortir du Sacre toute sa puissance tellurique. Rompu aux musiques contemporaines les plus exigeantes, le BBC Symphony Orchestra est à son affaire dans ce programme taillé sur mesure pour ses qualités.

Comme presque chaque année, les Proms accueillent les Berliner Philharmoniker pour un double concert. Le grand attrait de cette édition était de présenter au public leur nouveau directeur musical désigné : le russe Kirill Petrenko. Le milieu de la musique a beaucoup glosé et palabré sur la désignation de ce musicien discret (il refuse de donner des interviews et n’apparaît pas sur les réseaux sociaux) qui a construit sa carrière à l’ancienne, en dirigeant des maisons d’opéra et en travaillant son répertoire comme peu de ses condisciples. Pour ce premier concert, le chef n’avait pas choisi la facilité du box office en proposant la Péri de Paul Dukas et la Symphonie n°4 de Franz Schmidt. On passera rapidement sur un Concerto pour piano n°3 de Prokofiev avec Yuja Wang, désespérante de vide comme à son habitude, derrière une pseudo façade de virtuosité, pour nous concentrer sur les deux oeuvres purement symphoniques. Dans Dukas, le chef traite le matériau comme un opéra, imposant une dramaturgie qui fait de ce ballet une véritable succession de saynètes d’un monde oriental idéalisé. Petrenko obtient de son orchestre une palette de couleurs absolument sans limites et une finesse exemplaire du trait instrumental. Changement radical de registre avec la superbe Symphonie n°4 de Franz Schmidt, requiem instrumental d’un compositeur dévasté par le décès de son unique enfant. L’opulence de l’orchestre se dissimule derrière une musique aux tons noirs et aux mélodies désabusées comme le solo de trompette qui ouvre et clôt cette oeuvre inclassable. Petrenko, qui dirige cette oeuvre depuis de nombreuses années, est à son affaire dans ce langage symphonique énigmatique qui sollicite le chef dans la gestion des équilibres et des transitions.

Le second concert des Berlinois proposait un programme des plus classiques pour la phalange allemande : Don Juan et Mort et Transfiguration de Richard Strauss et la Symphonie n°7 de Beethoven. Dans Strauss, la baguette de Kirill Petrenko se fait foncièrement narrative avec cette capacité des grands chefs de jouer très légèrement avec le tempo pour renforcer l’impact des effets. Le contraste avec Simon Rattle, l’ancien chef des Berlinois, est saisissant. Quand le chef britannique privilégie une horizontalité des effets, le chef russe est foncièrement dans une verticalité qui ne cesse d’aller de l’avant. On comprend le bonheur absolu des musiciens de jouer sous la conduite d’un chef dont la technique de direction superlative lui permet toutes les audaces tout en assurant une sécurité à ses musiciens. On monte encore d’un cran avec une interprétation magistrale de la Symphonie n°7 de Beethoven, emportée au panache avec une prise de risque de tous les instants digne d’un Carlos Kleiber. Avec Petrenko, on est au-delà de l’apothéose de la danse, on est dans l’ivresse de la musique. Le public ne peut témoigner que d’un enthousiasme débridé.

Les Proms accueillent naturellement les orchestre étasuniens de passage lors de leurs tournées européennes des grands festivals. Directement arrivé de son festival de Tanglewood, le Boston Symphony Orchestra débutait sa tournée européenne, sous la baguette de son directeur musical Andris Nelsons avec un menu de choix : la Symphonie n°3 de Mahler. A cette occasion, le chef retrouvait les forces chorales (choeur et maîtrise) du City of Birmingham Symphony Orchestra dont il fut le directeur musical entre 2008 et 2015 et la mezzo soprano Susan Graham. Etalon symphonique, la Symphonie n°3 est taillée sur mesure pour les pupitres de BSO qui peuvent faire étalage de leur précision et de leur musicalité. Au pupitre, Andris Nelsons semble l’héritier de Bernstein, imposant un Mahler tantôt brassé et tumultueux dans la succession des fanfares du premier mouvement ou superbement décanté et si finement musical dans l’ultime mouvement. La flexibilité et l’adaptabilité de cette baguette semblent sans limites. Un immense triomphe vient légitimement récompenser les musiciens et leur chef.

Pierre-Jean Tribot,

Londres, les 31 août, 2 & 3 septembre 2018

Crédit photographique : BBC/Chris Christodoulou

 

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