Public conquis pour la première parisienne de Pappano avec son LSO
Était-ce parce que c’était le premier concert parisien de l’Orchestre Symphonique de Londres et de son tout nouveau directeur musical Sir Antonio Pappano ? Ou, plus probablement, parce qu’ils avaient programmé avec eux la star chinoise du piano Yuja Wang ? Toujours est-il que la Philharmonie était pleine à craquer, nombre de spectateurs affichant à l’entrée, souvent sur leurs téléphones, « cherche 1 place ».
Le programme était formellement tout ce qu’il y a de plus traditionnel : ouverture / concerto / symphonie.
La dense Ouverture de concert op. 12 du compositeur polonais Karol Szymanowski (1882-1937) est une œuvre de jeunesse qui doit beaucoup à Richard Strauss : le début conquérant rappelle immanquablement Don Juan, et sa forme tient d'ailleurs, comme son modèle, davantage du poème symphonique que de l’ouverture. Si le chef d’orchestre ne ménage pas son énergie, il faut reconnaître que l’orchestre ne sonne pas idéalement : l’orchestration paraît touffue et massive. Quelques moments plus intimes sont bienfaisants, et si cette Ouverture de concert ne se terminait pas de façon aussi brillante, ils pourraient nous préparer au Deuxième Concerto de son compatriote et aîné Frédéric Chopin (1810-1849).
Quand celui-ci commence, il nous faut cependant un moment pour vraiment rentrer dedans. L’orchestre est opportunément allégé (un quart des cordes en moins), et sonne forcément un peu maigrement après ce déferlement sonore. En écoutant la longue introduction, qui paraît bien discrète, on s’interroge sur ce choix d’avoir enchaîné ces deux œuvres. Il faut attendre l’entrée de la soliste pour capter notre attention, ce à quoi Yuja Wang excelle. Son jeu est stupéfiant de précision, avec un toucher félin inouï. Certains passages sont en suspens, au risque d’être désincarnés. À certains auditeurs le mouvement lent apparaîtra admirable à tous points de vue, voire sublime, tandis que d’autres percevront peut-être comme mécanique ce jeu pianistique tellement maîtrisé. En écoutant le finale, on se prend à penser que nous assistons à une leçon de piano plus que de musique. Et il faut reconnaître que l’orchestre aura été quelque peu en-deçà, se contentant d’un accompagnement attentif mais pas toujours habité.
En bis, tout d'abord nous restons dans Chopin, avec la célébrissime Valse op. 64 n° 2, en do dièse mineur. Là, Yuja Wang est dans sa bulle, et même si elle a sa conception rythmique bien à elle (elle confond notamment Più mosso et Accelerando), on ne peut qu’admirer follement sa force de conviction. Et puis, une pièce dans laquelle elle peut exprimer irrésistiblement sa fougue, comme enivrée : le Precipitato de la Septième Sonate de Prokofiev. Elle s’y surpasse, et nul ne peut y trouver à redire !
En deuxième partie, la Première Symphonie de Gustav Mahler (1860-1911), dite « Titan ». D’entrée, Antonio Pappano installe une ambiance tout en douceur, dont il ne sortira que le plus tard possible. Nous sentons qu’il se refuse à être trop démonstratif, privilégiant une lecture intérieure. Cela se confirme dans le deuxième mouvement, dont ni le grinçant ni le mordant, pas plus que le rustique, ne sont accentués. Puis, c’est la célèbre marche funèbre, et son thème de Frère Jacques en mineur. Mais ici, nous avons le sentiment d’assister à un lever du jour qui appelle des images de printemps plus que de mort. Aucune parodie, mais une sensation de rêve. Quant au finale, Antonio Pappano persiste à n’en pas rajouter dans le spectaculaire. La symphonie se termine avec les huit cornistes debout, et nous nous sentons pleins d’une énergie pure. Cette fois, plus une leçon de musique que d’orchestre (lequel n’est du reste pas toujours exempt de petites imperfections). Tout le monde n’y retrouvera sans doute pas son Mahler, que l’on entend généralement plus subjectif, dramatique, heurté. Loin d’être terne pour autant, cette lecture recèle beaucoup d’humanité, et le public a visiblement adhéré à cette interprétation.
Paris, Philharmonie, 16 septembre 2024
Pierre Carrive