Sonates de Mozart : la radieuse entente de Sayaka Shoji et Gianluca Cascioli
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates pour pianoforte et violon K. 301 en sol majeur, K. 378 en si bémol majeur et K. 454 en si bémol majeur. Sayaka Shoji, violon ; Gianluca Cascioli, pianoforte. 2023. Notice en anglais, en français et en italien. 57’ 16’’. Arcana A575.
La violoniste japonaise Sayaka Shoji, née en 1983 à Tokyo, joue du violon dès ses cinq ans. Elle passe son enfance à Sienne avant d’étudier à Cologne avec Zakhar Bron (°1947), qui a été l’élève d’Igor Oïstrakh et a compté, parmi ses élèves, Vadim Repin ou Maxim Vengerov. En 1999, la jeune femme remporte le Concours Paganini à Gênes ; l’année suivante, remarquée par Zubin Mehta, elle enregistre sous sa baguette, pour Deutsche Grammophon, un programme Paganini (le Concerto n° 1), Chausson (le Poème) et Waxman avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël. Elle gravera ensuite, avec divers chefs, d’autres pages du grand répertoire pour le label allemand. Sayaka Shoji pratique aussi la musique de chambre. Depuis une quinzaine d’années, elle fait équipe avec le pianiste turinois Gianluca Cascioli (°1979), qui remporta à Milan, dès ses quinze ans, le Concours Umberto Micheli, dans le jury duquel siégeaient notamment Luciano Berio et Maurizio Pollini, l’œuvre imposée en finale étant la version primitive d’Incises de Pierre Boulez. Le duo Shoji/Cascioli a gravé pour DG l’intégrale des sonates de Beethoven (2010) ; il donne de fréquents concerts, de Londres à Tokyo. Cette fois, il propose, sous étiquette Arcana (pour laquelle Cascioli a enregistré des pages de Beethoven), trois sonates de Mozart pour violon et pianoforte, auxquelles sa radieuse entente apporte une expressivité nourrie de nuances subtiles et de chaude ornementation.
La Sonate K 301 de 1778 en deux mouvements, pensée d’abord pour flûte et clavier, pourrait servir, si l’on osait l’expression, de mise en bouche avant les deux plats de consistance qui l’accompagnent. Sur son Stradivarius « Récamier » de 1729 à la sonorité lumineuse (un prêt d’Uneo Fine Chemicals Industry Ltd), Sayaka Shoji entame la belle mélodie que le pianoforte Mc Nulty de 2009, d’après un Walther & Sohn (Vienne, 1805), enrobe d’un rythme affirmé. Un dialogue virtuose et mesuré s’installe dans cet Allegro con spirito et se prolonge dans l’Allegro, sans doute inspiré par des duos de l’Allemand Joseph Schuster (1748-1812), originaire de Dresde, que Mozart découvrit à Mannheim. Il y a une incisive alacrité dans le passage central, une sicilienne en mineur ; l’équilibre entre les partenaires s’avère racé.
La plus ample Sonate K 378 en trois mouvements date des premiers jours de 1779, alors que Mozart a rejoint Salzbourg. La tendresse exprimée par chaque instrument dans cette partition sert tout autant l’expressivité d’un contexte de confidences distillées avec finesse dans l’Andantino sostenuto e cantabile, ce qui n’exclut pas la passion chantée par le violon et mise en valeur par le pianoforte, signes annonciateurs d’un emballant Rondo qui termine l’œuvre avec gaieté. La notice reproduit des critiques du temps lors de la publication de cette sonate ; elles soulignaient le fait que les deux instruments sont constamment mis sur un pied d’égalité de sorte que ces sonates requièrent autant d’habileté de la part du violoniste que du claviériste. Sayaka Shoji et Gianluca Cascioli sont l’illustration parfaite de cet équilibre épanoui.
La Sonate K 454 de 1784 en trois mouvements, contemporaine des superbes concertos pour piano K 449 à 453, profite de la proximité de ceux-ci, ce qui lui assure un caractère concertant. Mozart destinait son œuvre à une célèbre violoniste du temps ; pressé par les délais, il n’avait pas encore noté la partie pour piano, qu’il reproduisit de mémoire lors de la première exécution. Cette riche partition, avec son Largo/Allegro initial, combine une forme extérieure mélodique avec une méditation, de nouveau en parfait équilibre entre les deux instruments, qui s’épanouissent dans un Andante aux aspérités dramatiques, avant un Allegretto aux accents festivement raffinés. Sayaka Shoji et Gianluca Cascioli en livrent les facettes, intériorisées ou ardentes.
Ce beau disque de sonates mozartiennes est joué par un duo complice et attentif à l’écoute réciproque. La qualité sonore des deux instruments n’est pas pour rien dans cette réussite. On signalera aussi la haute qualité de la documentation de la notice, signée par Cliff Eisen, professeur émérite d’histoire de la musique au King’s College de Londres.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix