Stéphane Degout et les mélodies de Fauré, entre regrets et aboutissement  

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Gabriel Fauré (1845-1924) : Poème d’un jour op. 21 ; La Bonne Chanson op. 61 ; Ballade pour piano op. 19 ; Le Jardin clos op. 106 ; Mirages op. 113 ; L’Horizon chimérique op. 118. Stéphane Degout, baryton ; Alain Planès, piano. 2023. Notice en français et en anglais. Textes des poèmes, avec traduction anglaise. 81’ 05’’. Harmonia Mundi HMM 902382.

En cette année de commémoration du centenaire de la disparition de Gabriel Fauré, le baryton français Stéphane Degout (°1975) et le pianiste Alain Planès (°1948) proposent un programme de cinq cycles, puisés dans le riche catalogue voué par le compositeur à ce domaine spécifique. Ils illustrent plusieurs moments de sa carrière, à commencer par Poème d’un jour, qui date de 1878, et s’inspire de Charles Grandmougin (1850-1930), qui rédigera les livrets de l’oratorio La Vierge de Massenet et de l’opéra Hulda de César Franck. Écrits en 1874, trois textes en vers évoquent de façon romantique une rencontre, suivie d’une passion confirmée, puis d’une séparation. Belle occasion pour un Fauré trentenaire, dans un ensemble court qui dépasse à peine les six minutes au total, de démontrer, comme le précise Jean-Michel Nectoux dans la biographie qu’il lui consacre (Fayard, 2008), que Fauré n’est pas seulement un créateur de pages « douces », mais qu’il est aussi capable de dynamisme et d’énergie. Stéphane Degout a déjà gravé ce Poème d’un jour, capté lors d’un concert public en 2017, avec le partenariat de Simon Lepper (B Records, 2019). Il confirme qu’il lui va comme un gant.

C’est le cas aussi du dernier cycle à l’affiche, à savoir le poignant Horizon chimérique, ultime partition mélodique de 1921 : quatre poèmes en alexandrins, tirés d’un recueil écrit par Jean de La Ville de Mirmont (1886-1914). Un allant s’installe aussi au cœur de cet ensemble très émouvant qui, en huit minutes, met en évidence l’infinité de la mer en phase avec les rêves, la douleur des départs, une adresse à la lune et des bateaux qui s’éloignent. Comment résister à des vers comme ceux qui clôturent le cycle, lorsque le poète clame aux vaisseaux : Mais votre appel au fond des soirs, me désespère,/Car j’ai de grands départs inassouvis en moi, quand on connaît la mort tragique de ce jeune auteur tombé au combat pendant la guerre ? Comment ne pas être touché par ce chant d’une forte expressivité et par ce piano intense ? Stéphane Degout, diction indispensablement exemplaire et timbre étendu, signe là une version aboutie.

Curieusement, ce styliste capable de tant de nuances et au phrasé généreux, est un peu moins convaincant dans les trois autres cycles du programme. Les neuf mélodies de La Bonne Chanson, composées entre 1892 et 1894 sur des poèmes de Verlaine, laissent quelque peu le chanteur en retrait dans la transmission du contenu poétique. Les huit mélodies du Jardin clos de 1914, qui s’inspirent du recueil Entrevisions de Charles Van Lerberghe (1861-1907) - auquel Fauré avait déjà emprunté La Chanson d’Ève quelques années auparavant - relèvent d’un univers enchanté et onirique, où la fluidité et la finesse voisinent avec une sensualité diffuse et une extase récurrente.  La voix peut-être trop puissante du chanteur ne cerne pas tout à fait le côté mystérieux des textes. Quant aux quatre Mirages de 1919, il s’agit de poèmes symbolistes de qualité moyenne, signés Renée de Brimont (1880-1943). Fauré arrive à en tirer des images, des effets nuancés et des évocations de parfums ou de grâce dansante.  Stéphane Degout effleure leur évanescence, sans s’attribuer l’intimité lyrique. Nous voici donc en présence d’un programme au sein duquel la voix séduit toujours, mais dont certains moments de poésie nous laissent sur notre faim. 

Avec le piano Pleyel « Grand Patron » de 1892 « aux sonorités irisées » (précision de la couverture de l’album) dont il dispose, Alain Planès est un partenaire discret, attentif à valoriser les diverses intentions du compositeur. Au milieu du récital, il est mis en évidence en jouant la Ballade ; le lyrisme se nimbe alors  d’une lumière dont le Pleyel choisi adoucit les fins éclats. 

Son : 9    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 8, 5

Jean Lacroix              

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