Alain Planès a choisi un Pleyel de 1836 pour les Nocturnes de Chopin 

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Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturnes, intégrale. Alain Planès, piano. 2019. Notice en anglais, en français et en allemand. 114.11. Un album de deux CD Harmonia Mundi HMM 905332.33.

Originaire de Lyon, le pianiste Alain Planès (°1948) est aussi un érudit passionné par la poésie et la peinture, dont il est un connaisseur. Dès ses huit ans, il joue avec orchestre et étudie au Conservatoire de Paris avec Jacques Février avant de tenter l’aventure américaine à l’Université de Bloomington. Là, il s’imprègne de l’art de Menahem Pressler, György Sebök, William Primrose et János Starker ; avec ce dernier, il donne un grand nombre de concerts aux Etats-Unis et en Europe. Son retour en France est marqué, à la demande de Pierre Boulez, par son activité de pianiste soliste avec l’Ensemble Intercontemporain, ce qui lui permet de travailler avec Ligeti, Berio ou Stockhausen. Mais Alain Planès est ouvert à tous les horizons, comme le démontre sa discographie pour Harmonia Mundi : pièces de Chabrier, Bartók ou Janáček, sonates de Haydn ou de Schubert, intégrale de Debussy…

Alain Planès s’est aussi intéressé à plusieurs reprises à Chopin. En 2001, pour les Préludes op. 28, complétés par des mazurkas, un nocturne, la Barcarolle et la Berceuse, il choisit un Steinway de 1906 (HMG 175021). Huit ans plus tard, il enregistre un « concert de Chopin dans les salons Pleyel en 1842 », une prestation donnée par le compositeur dans les nouveaux locaux parisiens du facteur d’instruments, sis rue de la Rochechouart, dont il ne subsiste rien de nos jours. Lors de cette séance nocturne du 21 février 1842, où Chopin partage l’affiche avec Pauline Viardot et le violoncelliste Auguste Franchomme, le programme, reconstitué d’après des notes critiques de la presse du temps, est généreux et varié : l’Andante spianato op. 22, la Ballade op. 47, l’Impromptu op. 51, la « Grande Valse » op. 42, ainsi que plusieurs mazurkas, études et préludes, et quatre nocturnes (HMC 902052). Afin d’être le plus proche possible de l’esprit et de la sonorité du compositeur, Planès a opté pour un Pleyel de 1836 de la collection d’Anthony Sidey, dans son état d’origine, avec petits bruits mécaniques dus à son âge. 

En novembre 2019, il a renouvelé l’expérience avec la présente intégrale des Nocturnes, enregistrée en Espagne, dans une salle catalane. Cette fois encore, c’est un Pleyel qui est à l’honneur, un Modèle puissant de 1836, plus grand que le modèle classique ; deux photographies en couleurs le montrent sous des angles différents. Alain Planès en donne une description détaillée dans un petit texte qui précède la notice ; on peut notamment y lire que l’instrument, dans son état original, a déjà une puissance comparable à celui d’un piano moderne. Il possède trois registres différents, l’aigu plus léger et tendant vers la harpe, le médium au velouté charmeur et les basses puissantes, rondes et claires -l’ensemble des sonorités se mélangeant mieux que sur le clavier uniforme d’aujourd’hui. On retrouve les attraits de Planès pour la poésie et la peinture tout au long d’un parcours qui est aussi celui d’une partie de l’existence de Chopin puisque les Nocturnes ont été composés entre 1827 et 1846. Chacune de ces pièces, dont la variété s’accompagne de nostalgie, de finesse, de sensibilité, de fraîcheur ou de lyrisme, est proposée par le pianiste comme un monde en soi, qui esquisse, par touches et par traits, un tableau en miniature, séduisant, fervent, humble, délicat ou raffiné. 

On ne détaillera pas ici chacun des Nocturnes, mais on épinglera l’intense chaleur intime qui se dégage de cette intégrale qui rejoint, par son esprit et par sa beauté sonore, le programme reconstitué enregistré en 2009. Le pianiste attire l’attention sur l’opus 55 n° 2, qui rend pleinement justice à l’instrument : c’est une aria d’opéra avec soprano et ténor, dont les registres différents renforcent l’impression de dialogue. Cette allusion à l’art vocal pour ce Nocturne en mi bémol majeur publié en 1844 est d’une parfaite justesse, la mélodie, à la fois pleine de lumière et de poésie, se déployant avec une évidence belcantiste des plus réjouissantes. Cette évidence s’installe d’emblée dans le discours dès le Nocturne n° 1 de l’opus 9 qui chante dans un registre où charme et passion se confondent. Est-ce par la grâce de cet instrument splendide dont Planès fait vibrer les potentialités avec une science consommée de l’ornementation ? C’est en tout cas une expérience musicale qui fait pénétrer l’auditeur dans un univers plein de profondeur, où il peut sans cesse rêver. Planès évite les clichés gratuitement pseudo-romantiques que d’aucuns attribuent, non sans dédain, à des pages qui s’adressent à l’émotion tout autant qu’aux vertus de l’esprit. Dans les salons où Chopin se produisait, la superficialité n’avait pas de place lorsqu’il se mettait au clavier. Alain Planès en fait une démonstration éblouissante et imaginative, qui magnifie le sujet, mais aussi, comme le souligne Nicolas Dufetel dans la notice, un art de la diction, qui se caractérise par une création toujours en marche, une liberté dont Alain Planès se saisit. Une infinie liberté, dont la densité s’exprime si bien dans le Nocturne posthume en do dièse, ce Lento con gran espressione qui clôture le programme, et ouvre sur le silence : l’éternité y est palpable…

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10     

Jean Lacroix   

 

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