Stravinsky par François-Xavier Roth 

par

Igor Stravinsky (1882-1971) : L’Oiseau de feu (version 1910), Petrouchka (version 1911) et Le Sacre du Printemps (version 1913). Les Orientales : musiques de A.Glazounov, C.Sinding, A.Arensky, et E.Grieg. Les Siècles, François-Xavier Roth. Enregistré en 2011 et 2014. Livret en : français, anglais et allemand. 2h09. 2 CD Harmonia Mundi. HMX 2905342.43.

A l’occasion des 50 ans du décès d’Igor Stravinsky, Harmonia Mundi met en boîte les grands ballets du compositeur enregistrés par Les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth, entre 2011 et 2014, dans le cadre de leur projet Ballets russes. Édités un temps dans une collection dédiée aux Siècles chez Actes Sud, ces enregistrements exceptionnels connaissent ainsi une réédition capitale. 

Comme toujours avec François-Xavier Roth et Les Siècles, le travail sur les sources est absolument essentiel pour plonger au coeur des partitions. En effet, le chef a souhaité présenter ces oeuvres exactement telles qu’elles avaient été données entre 1910 et 1913 sur les scènes du Châtelet, de l'Opéra de Paris ou encore du Théâtre des Champs Elysées. Le travail sur le Sacre du Printemps a permis de restaurer la partition telle que donnée lors de la tumultueuse création. Si la chorégraphie de Nijinski avait catalysé le scandale, les difficultés techniques de la partition avaient galvanisé les remontrances des musiciens perturbés par tant de nouveautés et d’exigences. Dès lors, les chefs s’empressèrent de simplifier certaines exigences avant que Stravinsky, en 1947, ne propose une nouvelle édition plus accessible. Pour ce travail philologique, François-Xavier Roth a pu s’appuyer sur le travail du musicologue canadien M. Sire qui a pu lui présenter un scan de la partition de 1913 du chef d’orchestre Pierre Monteux. Cependant, la partition étant sous copyright, il fallut l’accord de la directrice de Boosey & Hawkes pour interpréter et enregistrer cette version historique encore plus radicale que celle habituellement enregistrée, tant de micro-détails renforcent le côté révolutionnaire du chef d’oeuvre.  

Les instruments d’époque des Siècles permettent de proposer un son plus français à la fois plus transparent, en particulier dans les bois et les cuivres. Les amateurs de grosses berthas symphoniques carénées et démonstratives en seront pour leurs frais, tout est ici d’une lisibilité de trait épatante à l’image d’un Oiseau de feu songeur et rêveur, tirant vers Debussy et Ravel tout autant que vers l’école russe. Mais cette transparence des timbres ne fait pas abstraction des dynamiques ici foncièrement explosives et emportées par la direction chorégraphique du chef français : Petrouchka est un festival fauviste de contrastes et le Sacre du printemps est aussi incandescent que flamboyant. La fluidité des pupitres renforce la mobilité de la masse instrumentale ici chauffée à blanc. On n’est plus dans le volume de son, mais dans un théâtre des sons, tantôt irisé, tantôt rauque, mais qui change radicalement notre point de vue sur ces oeuvres, et toute la modernité d’écriture de Stravinsky apparaît dès l’Oiseau de feu qui n’est plus un songe post-rimskien mais une oeuvre déjà radicale dans son instrumentation. 

En complément de cette trilogie stravinskienne, François-Xavier Roth ressuscite les Orientales, ballet proposé en première partie de l’Oiseau de feu, le 25 juin 1910 sur la scène de l’Opéra de Paris, patchwork chorégraphique sur des musiques de  Glazounov, Sinding, Arensky et Grieg. Une partie du matériel d’orchestre ayant été perdu, une nouvelle orchestration a été demandée à Bruno Mantovani et Charlie Piper pour deux des huits morceaux.

On l’aura compris, ce coffret est une indispensable référence. Par contre, pour suivre chronologiquement l’évolution du compositeur, on écoutera le CD 2 (avec l’Oiseau de feu) avant le CD 1 (Petrouchka et Sacre du Printemps). 

Son : 10 – Livret : 10 (passionnante interview avec François-Xavier Roth) – Répertoire : 10 – Interprétation : 10 

Pierre-Jean Tribot 

 

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