Sublime Arcadi Volodos

par

Il existe de rares soirées où celui qui en fait le compte-rendu a envie de déposer la plume, tant le concert est exceptionnel. Ce fut le cas ce lundi 6 décembre au Victoria Hall de Genève avec le récital du pianiste russe Arcadi Volodos. ‘Sublime’ est le qualificatif qu’il faut utiliser pour définir le jeu racé de ce natif de Saint-Pétersbourg qui a attendu l’âge de quinze ans pour prendre en considération le piano, après avoir étudié le chant et la direction d’orchestre. Dès 1991, ses débuts à New York, puis à Londres cinq ans plus tard, lui valent une consécration que nombre d’agences de concert minimisent en affichant deux ou trois de ses compatriotes, un Matsuev éléphantesque, un Lugansky anémié, un Trifonov tape à l’œil, qui ne lui arrivent pas à la cheville ! 

Son programme genevois débute par l’une des grandes sonates de Schubert, la 19e en ré majeur D. 850, dont il dégage la fougue pathétique à partir d’accords martelés que le contre-chant allège sans pouvoir canaliser une effervescence sous-jacente qui finit par se répandre en rafales de traits d’une rare audace. Le second mouvement indiqué ‘Con moto’ tient de la noblesse méditative au phrasé inventif qui développe le discours jusqu’à une péroraison évoquant un souvenir déjà lointain. Le Scherzo prend un caractère péremptoire qu’atténue le Trio empreint de poétique ferveur, alors que le Final est un rondò brillant usant du procédé de la variation pour contraster les coloris et conclure sur un pianissimo interrogateur. 

La seconde partie est consacrée à Schumann et commence par les célèbres Kinderszenen op.15 qu’il déroule avec une apparente nonchalance, tout en scrutant les moindres indications de nuance ou d’accentuation. Et c’est le flux de la main gauche qui relie les brèves séquences, en dépoussiérant notamment la ‘Träumerei’ si galvaudée de toute afféterie et en l’achevant par une touche presque imperceptible. Et ‘Der Dichter spricht’ conclut par une ‘cadenza’ et quelques accords enveloppés d’une ineffable tendresse.

Arcadi Volodos enchaîne avec la Fantaisie en ut majeur op.17, l’une des grandes chartes du romantisme, d’exécution redoutable, qu’il emporte dans un souffle pathétique au lyrisme échevelé qui s’estompe en un cantabile laissant affleurer les voix intérieures puis en un choral ‘Im Legendenton’ osant les sonorités étouffées. Dans le mouvement médian ‘Mässig. Durchaus energisch’, il négocie en demi-teintes les périlleux arpèges et sauts, avant de faire valoir une ahurissante maîtrise technique dans la coda qui a toujours été truffée de fausses notes par la plupart de ses collègues, morts ou vivants ! Le Final n’est plus que sérénité contemplative, innervée par de nostalgiques inflexions et de sporadiques traits d’enthousiasme.

Devant une salle en délire, debout pour clamer ses hourras, l’artiste concède six bis, dont l’Andante sostenuto de l’ultime sonate de Schubert (D.960 en si bémol majeur) et le Premier des Intermezzi op.117 de Brahms. Un récital que les spectateurs d’un soir n’oublieront jamais !

Genève, Victoria Hall, le 6 décembre 2021

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Marco Borggreve

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.