Biber et Bach : Emmanuelle Dauvin, au violon solo et pédalier d’orgue

par

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Sonates “du Rosaire” no I C. 90, no III C. 92, no X C. 99. Sonatæ violono solo : no VI, C. 143. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Partita prima a violin solo senza basso BWV 1002 ; Sonata a violin solo col basso BWV 1023. Emmanuelle Dauvin, violon, orgue de l’église de Guignicourt. Octobre 2020. Livret en français, anglais, allemand. TT 60’33. Hitasura HSP 007

Cet OVNI (comprenez Orgue Violon Nouvelle Interprétation) dans le ciel du violon baroque n’est pas celui des ufologues. Manier l’archet, s’adjoindre le pédalier : la pratique n’est pas neuve, mais bien ancienne. On l’associe par exemple à Nikolaus Bruhns (1665-1697) aussi habile des quatre membres. Emmanuelle Dauvin ressuscite cette technique virtuose, acquise par des exercices de synchronisation. Dans la notice, elle nous explique comment elle fut amenée à s’accompagner à l’orgue, éclairant ainsi la structure polyphonique des œuvres qui lui semblaient obscures quand elle était enfant. Une astuce qu’elle roda ensuite en concert. « L’expression de la ligne de violon prenait concrètement racine dans ses interactions rythmiques et harmoniques avec la ligne de basse. » Quitte à épurer la partie de continuo, mais aussi de trouver une intelligibilité, une cohésion, une respiration révélatrices. Pour ne pas s’isoler dans la tribune, pour rester visible de son public, et se produire dans des lieux aussi variés que possible, Emmanuelle Dauvin entreprit une collecte pour confectionner un prototype de pédalier autonome associé à une banque de sons : un projet concrétisé par financement participatif, en lien avec la société Virtualis.

C’est toutefois un orgue authentique qui a été sollicité pour cet enregistrement. Non pas réalisé à l’église Saint-Vincent-de-Paul de Paris comme le laisseraient supposer les superbes photos pages 3 et 6, mais à Guignicourt dans l’Aisne, sur un récent instrument que le livret omet de nous présenter. Il fut construit dans les ateliers gersois de Jean Daldosso et inauguré en septembre 2003. Il compte 17 jeux (certains coupés en basse/dessus), avec accouplements et tirasse.

Le programme se consacre principalement à trois des quinze Sonates dites « du Rosaire » de Biber (respectivement pour l’Annonciation, la Nativité et la Crucifixion, toutes en mineur), important recueil de la littérature baroque germanique, qui nécessite un accord particulier (scordatura ) pour chacune d’elles. Figure aussi la sixième des huit Sonates éditées à Nuremberg en 1681. Une Partita (« solo senza basso ») et une Sonate de Bach complètent le parcours. La discographie de ces œuvres est particulièrement abondante, notamment pour les Rosenkranzsonaten et les deux célèbres opus du Cantor : Emmanuelle Dauvin y prend une digne part.

On apprécie la performance intrinsèque de l’artiste dont les phrasés attestent l’inspiration (éloquentes césures dans la Sonata X). Avouons cependant que dans le cadre d’un disque, le sobre soutien inévitablement congru et inertiel du pédalier restreint la richesse du décor et contraste avec la mobilité chatoyante de l’archet. Dans ce rapport déséquilibré, les ponctuations à nu de la Passacagli clarifient l’escorte ostinato mais semblent spartiates. Au demeurant, malgré les contraintes qu’il s’impose, l’ensemble est concluant, ne laisse pas sur sa faim. Distinguons même quelques moments d’osmose qui fonctionnent à merveille et donnent l’illusion du duo, comme la Gavotta. Saluons enfin la magnifique captation qui contribue au charme global de l’écoute.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.