Suite des Widor de Pierre Labric sur le Cavaillé-Coll de Rouen : les quatre premières symphonies

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Charles-Marie Widor (1844-1937) : Première Symphonie, en ut mineur, Op. 13/1 ; Deuxième Symphonie, en ré majeur, Op. 13/2. Pierre Labric, orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint Ouen de Rouen. Juillet et octobre 1971. Livret en français et anglais. TT 76’20. FY Solstice SOCD 403

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Troisième Symphonie, en mi mineur, Op. 13/3 ; Quatrième Symphonie, en fa mineur, Op. 13/4. Pierre Labric, orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint Ouen de Rouen. Juillet et octobre 1971. Livret en français et anglais. TT 63’56. FY Solstice SOCD 405

Après un premier volume consacré aux deux symphonies médianes puis un autre consacré aux deux dernières, que nous avions chacun récompensés en raison de leur intérêt artistique majeur, le label de François et Yvette Carbou continue d’exhumer le cycle widorien réalisé par Pierre Labric au début des années 1970 et capté par les micros d’une entreprise locale, Téléson. Ici avec ces deux nouvelles parutions regroupant les quatre symphonies de l’opus 13, moins célèbres et explorées par la discographie hormis en intégrale, d’où l’absence de Joker -étant dit que la valeur patrimoniale de ces documents reste patente.

Des symphonies, voire des Suites dans la mesure où les deux premières comptent respectivement sept et six parties dans leur édition définitive. La quatrième symphonie évolua elle-aussi vers une structure amplifiée de six parties, intercalant un Andante et un Scherzo après un diptyque toccata & fugue, et avant un Adagio puis un Finale.

Hormis quelques bruits parasites qui entachent la Méditation, hormis quelques saturations dans les passages chargés (refrains de la tonitruante Marche pontificale, –même si le volume de gravure a été abaissé pour museler sa verve tonitruante ; Finale de la no 2 ; Toccata de la no 4), la qualité sonore, restituée par les bons soins du Studio Art et Son d’Annecy, garantit un relief particulièrement réaliste : une perspective aérée, profonde et consistante. De quoi flatter la plénitude des fonds dès le Prélude de la no 1 que Pierre Labric, à l’instar du récent CD d'Olivier Vernet, est un des rares à savoir animer de fond en comble. Une éloquence fertile et flamboyante qui doit peu aux brouillards impressionnistes.

« Aiguillonné par des tempi volontaristes, ce sens aigu de la caractérisation, de la tension descriptive, densifie toutes ces pages, scrute leur suggestivité et avive leur drame » écrivions-nous au sujet du précédent volume. On ne peut que reconduire ce constat d'évidence, qui intensifie le texte et le façonne avec un art constant du sostenuto dans les Andante, les Adagio. On goûtera l'effervescente agilité de l'Intermezzo, qui en cisèle les fantasmagories simili-schumaniennes, et le prodigieux séminaire de timbres instillés à l’intriguant Salve Regina, où luisent d’incandescentes mixtures, presque surnaturelles.

Concentrée mais toute de fluidité, l'interprétation sans excès de pathos de la seconde symphonie se confirme une des grandes réussites au sein de ce quarté. Outre le Final caqueté sur les chamades, mentionnons le travail de fin styliste dans la no 3 : le Minuetto, qui grésille sur les anches du Récit, aussi lisible que charmant ; puis la malice un brin revêche du Scherzo. On admirera le tranchant panache inculqué aux deux Marches, vrombissant sur une contre-bombarde qui fait un effet du tonnerre. 

Qui veut entendre ces quatre symphonies jouées sur la prestigieuse console normande, dans des conditions techniques modernes (plus aseptisées mais moins savoureuses), pourra se fier au double album de Christian Schmitt (CPO, 2010). Mais le vétéran alors au sommet de son art reste inimitable pour sa contention raffinée, sa fermeté de conception et la vitalité de ses phrasés, qui s’incarnent dans un verbe sans détour. Les œuvres semblent repeintes à fresque ! Plus que jamais, ces témoignages demi-séculaires méritaient de sortir des archives et offrent un portrait incomparablement actuel et vivant de ce brillant élève de Marcel Dupré (1886-1971) et Jeanne Demessieux (1921-1968), qui vient de souffler ses 102 bougies. On saluera enfin le livret de François Sabatier, rédigé avec un soin tout littéraire et parfaitement renseigné, comme toujours avec cet éminent auteur, qui signe ici une présentation du compositeur et une description détaillée des œuvres. Un précieux guide pour accompagner l’écoute.

Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8,5 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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