Les pianistes turques Güher et Süher Pekinel sont les récipiendaires du Lifetime Achievement Award 2024 des International Classical Music Awards. Ce prix récompense les presque cinquante ans que les Pekinel ont passés sur la scène internationale, à partir des années 1980, lorsque seule une poignée de musiciens turcs pouvaient se frayer un chemin sur la scène de la musique classique. Leur musicalité unique, leur présence sur scène et leurs connaissances artistiques approfondies ont ouvert la voie à cette récompense très importante. Ces dernières années, les soeurs Pekinel ont consacré la majeure partie de leur temps à des projets éducatifs et à la préparation de jeunes musiciens talentueux de toute la Turquie à la scène, ce qui fait d'elles des ambassadeurs musicaux assidus. Elles ont été interviewées par Feyzi Ercin, membre du jury turc d'Andante.
Vous êtes un duo aux innombrables réalisations et aux nombreuses récompenses. Que signifie un prix pour un artiste, et qu'est-ce que celui-ci signifie spécifiquement pour vous ?
Ce prix s'est une fois de plus avéré être une source de motivation importante pour nous. L'un de ses principaux mérites est la reconnaissance de nos efforts par d'autres musiciens, ce qui est un indicateur de notre résonance dans le domaine artistique. En outre, la nature éminente du prix, décerné par un jury composé de représentants de l'ensemble des publications et diffuseurs musicaux européens, lui confère une signification encore plus grande. En effet, cette récompense sert continuellement de phare, allumant la volonté de se perfectionner par l'auto-réflexion.
Votre principale caractéristique est de jouer sans contact visuel, sur des pianos parallèles, mais pas côte à côte. Comment et quand cette idée a-t-elle germé en vous ? Depuis que vous avez adopté cette approche, quels résultats avez-vous obtenus en tant que musiciennes ? Votre style, votre son ou votre réaction à la musique ont-ils changé ?
Les pianos que nous allions jouer lors de nos tournées ne nous satisfaisaient pas entièrement. L'absence de contact visuel contribue à établir une distance très créative. Nous devenons réceptives aux risques grâce à notre concentration de sensations. Lorsque les pianos sont placés l'un en face de l'autre et que le couvercle de l'un d'eux est retiré, le son du second piano n'atteint la salle qu'avec une perte de 65 % de sa pureté d'origine. En outre, les pédales apparaissent souvent floues, ce qui fait perdre à la sonorité une grande partie de son caractère. Par ailleurs, nous affinons sans cesse notre conception du son symphonique. Pour nous, cet emplacement est le plus logique et le plus naturel. Nous n'avons plus besoin de nous voir. Nous nous sentons néanmoins plus fortes sans le contact visuel. Nos oreilles nous servent d'yeux et nos yeux d'oreilles. Notre chemin musical est déterminé par deux aspects : tout d'abord, il y a la respiration fluide que nous cherchons à expérimenter plus profondément et plus longtemps. Deuxièmement, et tout aussi crucial, le risque. Plus nous sommes contrôlées, plus nous voulons être libres. Dans cet état de liberté, synonyme de contrôle total (l'un ne va pas sans l'autre), nous faisons l'expérience d'une liberté absolue face à un risque maximal, que nous pouvons définir comme la "réalisation de l'élan".
L'Italien Orazio Sciortino (*Syracuse, 1984) a été choisi par le jury des International Classical Music Awards (ICMA) pour leur prix annuel décerné à un compositeur. Il s'agit d'un musicien dont le catalogue est très vaste et qui se consacre intensément à l'interprétation du répertoire classique en tant que pianiste. Ismael G. Cabral, membre de la rédaction du magazine espagnol Scherzo, a réalisé cet entretien.
Il n'est pas facile d'avoir une perception de soi-même, du chemin parcouru. Je pense que je pourrai répondre à cette question dans 20 ans, ou peut-être plus. J'aurai 40 ans, et c'est un chiffre rond et pertinent à partir duquel il peut être judicieux de faire le point. J'ai composé beaucoup de musique de chambre, symphonique et vocale. Et lorsque je regarde mes œuvres plus anciennes, je constate que mon langage a évolué. Cependant, certaines caractéristiques ont été conservées et même développées. Je pourrais dire que je suis en recherche constante, à la fois en tant que pianiste et en tant que compositeur, et que je relève toujours de nouveaux projets et de nouveaux défis.
Lorsque j'ai lu les mots que vous avez cités, j'ai été un peu ému et cela m'a donné à réfléchir. Il y a eu des périodes dans l'histoire où la musique contemporaine suivait des lignes directrices précises et où de très nombreux compositeurs ressentaient le besoin de dire quelque chose de nouveau. Cela s'est souvent traduit par des formules abstraites, des recherches presque scientifiques, des approches dogmatiques qui n'avaient rien à voir avec l'expérience physique et corporelle de l'écoute. Certains pensent encore ainsi. Au contraire, je pense qu'il est important d'écouter le monde. Je ne m'intéresse pas aux étiquettes de style : tonal, minimaliste, sériel, etc. Il y a beaucoup de grands créateurs qui utilisent toutes sortes de ressources. Je pense, par exemple, à l'un des compositeurs les plus importants de notre époque, Peter Eötvös, décédé récemment. Sa musique a toujours été très communicative. Et il utilisait tous les ingrédients dont il disposait, toutes les techniques de composition dont il disposait, pour créer une œuvre toujours puissante et originale. Il a ainsi pu toucher directement l'auditeur, sans se contenter de satisfaire l'intellect du musicien. Cette œuvre ne nécessite aucune étude musicologique préalable pour être appréciée.