René Jacobs poursuit sa palpitante intégrale des symphonies de Schubert

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Franz Schubert (1797-1828) : Symphonies Nos 4 & 5. B’Rock Orchestra, René Jacobs. 2019-2020. 59’24. Livret en anglais et en allemand. 1 CD Pentatone. PTC5186856.

Si René Jacobs est devenu l’un des chefs symphoniques les plus novateurs et enthousiasmants, voilà près d’un demi-siècle, depuis qu’il a popularisé la voix de contre-ténor auprès des mélomanes, qu’il jouit d’une réputation d’érudit et de musicien incomparable. Mais sa pratique de Schubert est encore plus ancienne, puisqu’elle date de son enfance, quand il avait encore sa voix de soprano, et qu’il chantait en tant que soliste au sein du Chœur de la Cathédrale de Gand, sa ville natale. Dans le premier volume de ce qui sera une intégrale des symphonies de ce compositeur, il annonçait : « Schubert est devenu le premier de mes compositeurs préférés. »

Après les Symphonies Nᵒˢ̊ 1 & 6, puis 2 & 3 (Joker absolu), voici donc ce qui devrait être l’avant-dernier album, avant les deux ultimes et célèbres chefs-d’œuvre que sont l’Inachevée et la Grande

Tout comme les Deuxième et Troisième Symphonies, séparées de deux mois, René Jacobs présente les Quatrième et Cinquième, séparées par quatre mois, comme des « paires de symphonies », relevant, dans les deux cas, les caractères « masculin » de la première et « féminin » de la seconde. Mais pour cette « nouvelle paire », dans un texte d’une richesse époustouflante (malheureusement seulement en anglais et en allemand, alors que dans le premier volume il était aussi en français) qui constitue une véritable étude analytique des symphonies de Schubert, il met l’accent sur leur antagonisme (« excitant / relaxant »). La Quatrième est la première symphonie de Schubert en mineur, et René Jacobs insiste sur son caractère véritablement « tragique », considérant que son titre correspond effectivement à sa nature profonde. Et il parle de la Cinquième comme « joyeuse », avec sa durée moindre et son orchestration plus légère (2 cors au lieu de 4, et ni clarinettes, ni trompettes ni timbales). Tout en nous mettant en garde : ce n’est qu’une apparence. Et en effet, sinon ce ne serait pas du Schubert ! 

Avec cet épatant B'Rock Orchestra et ses instruments d'époque, nous retrouvons bien sûr les mêmes couleurs orchestrales que dans les précédents volumes. L’effectif des cordes est de taille moyenne, avec autant de premiers que de seconds violons (7), et autant de violoncelles que de contrebasses (4). Les vents ont toujours leurs couleurs si caractéristiques, aussi brillantes qu’individualisées. Ils ressortent merveilleusement, et les instrumentistes font preuve d’une musicalité hors-pair. Avec René Jacobs, nous sommes au théâtre, et l’on ne s’ennuie pas.

Il donne l’impression d’avoir déplacé le caractère « tragique » de la Quatrième Symphonie. En effet, si le Largo introductif, si torturé harmoniquement, est implacable, le soyeux des cordes le rend endurable, et ce serait plutôt l’Allegro vivace, particulièrement nerveux et bondissant, qui installe l’agitation. Dans l’Andante, René Jacobs se laisse aller à une certaine tendresse, presque chatoyante ; mais la violence est sous-jacente, et parfois même explicite. Le Menuet n’a ici rien de salonard, bien au contraire. Il a quelque chose d’implacable, avec une véhémence terrifiante. Quant au Finale, il est d’un bout à l’autre palpitant et haletant, sans aucun répit dans l’énergie (même dans la partie plus calme), ce qui entraîne presque une saturation, à la limite de tourner à vide. Au lieu d’une tension qui finit par se libérer comme bien d’autres interprètes nous le proposent, nous sommes ainsi témoins, jusqu'au bout, de l’angoisse de Schubert.

René Jacobs insiste sur la dimension dramatique de l’Allegro (sans introduction) de la Cinquième Symphonie, qui ne sera vraisemblablement pas si insouciante que ce que nous entendons souvent... L’Andante est réellement con moto : loin d’être plus ou moins méditatif, s’il y a du Mozart ici, c’est bien dans sa dimension théâtrale. Le Menuet est musclé, mais avec souplesse, et son Trio, délicieusement rustique, non sans humour. L’accéléré final est ébouriffant, et mène vers un Finale pétillant, bouillonnant, avec de spectaculaires ruptures de tempo, qui compensent, en quelque sorte, le relatif manque de surprises de l’écriture. Une Cinquième « joyeuse », sans doute, mais tout sauf confortable.

Vivement les Huitième (« Inachevée ») et Neuvième (« Grande ») !

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre Carrive

 



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