Musique funèbre dans la cité Anversoise à l’heure de la Contre-Réforme

par

Antwerp Requiem. Philippus van Steelant (1611-1670) : Missa pro defunctis a 6 voc et 5 instr. Miserere mei Deus 5 voc & 5 viol cum 4 voc ripieno. Missa pro defunctis 6 voc & 6 voc ripieno. Frank Agsteribbe, clavecin et direction. CantoLX.  B’Rock Orchestra, direction : Frank Agsteribbe. Janvier 2022. Livret en anglais et néerlandais, paroles en latin et traduction bilingue. TT 74’26. Pentatone PTC 5187 006

Le turbulent contexte du Siège d’Anvers (1585) consacra la victoire des armées de Philippe II, mais aussi un blocus qui ruina l’ancienne gloire commerciale de la cité portuaire. Du moins, la Contre-Réforme relativisa l’influence calviniste, entraîna une émigration des Protestants dans les Provinces du Nord, revigora le culte catholique, et en contrepoids de la déchéance économique instaura un essor artistique sous influence latine. En corollaire, culture et pratiques funéraires évoluèrent d’un excès à l’autre : à la fin du XVIe siècle, le clergé anversois déplore la sobriété du rite aux défunts, mais trente ans plus tard il s’insurge contre la pompe qui envahit les offices ! Quitte par exemple à taxer les torches des processions, ainsi que nous l’apprend la notice de Stefanie Berghein, auteur d’une thèse sur la vie musicale dans les églises paroissiales d'Anvers (c1585-1797), et avec laquelle Frank Agsteribbe avait déjà collaboré pour un précédent album « Flemish Requiem » paru en 2019, essentiellement voué à Joseph-Hector Fiocco (1703-1741).

Cette fois, c’est un autre compositeur flamand qu’honore ce CD : Philippus van Steelant, titulaire pendant un quart de siècle de l’orgue de l’église Saint-Jacques d’Anvers, et pourvoyeur de musique sacrée, telle cette messe à trois chœurs que l’on put entendre en avril 1650 aux funérailles de Barbara Vekemans, épouse de l’échevin. De cette époque et dans cette aire, peu de manuscrits de Requiem survécurent, rendant d’autant précieux les deux que nous entendons ici : celui daté de c1650 et celui publié en 1656 par Pierre Phalèse en tant qu’opus 1, lequel contient aussi le Miserere de la plage 11.

Face à ces œuvres inspirées de la manière italienne, richement enluminées, généreuses et exubérantes, on comprend que Frank Agsteribbe pense aux ors polyphoniques d’Heinrich Schütz et y voie un équivalent musical aux plantureuses toiles de Rubens. Surenchérissant sur la palette originale, fort colorée dans le sombre (bassons et trombones), l’exécution se renforce ici par cornets (un instrument dont jouait le père de Van Steelant), basse supplémentaire (violone et contrebasse) garante de gravité, et clavecin (un modèle flambant neuf d’après un Andreas Ruckers conservé au Musem Vleeshuis) en renfort de l’orgue.

Déployant de six à douze chanteurs (dont un groupe de ripieno), l’équipe vocale de CantoLX se montre particulièrement motivée, dans un écrin orchestral tout aussi convaincu par l’entreprise. Aiguillonnée par Korneel Bernolet à la production, animée avec ardeur par Frank Agsteribbe, superbement captée à Gand : la réalisation du projet domine les enjeux. L’esprit a soufflé sur ces sessions. Ferveur et flamboiement traduisent ce que l’on peut concevoir des fastueuses cérémonies funèbres en cette cité meurtrie, que le Traité de Münster venait d’isoler des Provinces-Unies.

Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne



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