Mots-clé : Frédéric Chaslin

Joliment joli : « Lakmé » de Léo Delibes 

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A l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Lakmé de Léo Delibes offre à ses spectateurs un album de belles images colorées-coloriées et surtout des ravissements vocaux. Tout cela est, n’y voyez pas d’ironie, joliment joli. 

Dans le jardin aussi magnifique que solennel d’un temple hindou, ils se voient et cela suffit pour qu’ils s’aiment. Définitivement. Mais ils ne vivent pas dans le meilleur des mondes et tout ne pourra pas y aller pour le mieux. Elle, c’est Lakmé, la fille du redoutable brahmane Nilakantha ; lui, c’est Gérald, un officier de ces forces britanniques qui ont colonisé et occupent le pays. Leur amour est impossible, elle en mourra. 

Une tragédie, oui et non. Oui dans les faits et leur enchaînement fatal, non dans la musique et les airs qui l’expriment. Si beaux pour dire le rêve impossible.

Joliment jolie : telle est la mise en scène de Davide Garattini Raimondi, absolument couleur locale. Tout dit l’Inde des représentations coloniales : processions religieuses, pétales de fleurs, statues des dieux, bougies, sari, uniformes anglais (dont nous venons de contempler à satiété les déclinaisons contemporaines lors d’un enterrement récent), portrait de la Reine Victoria. Et surtout, elle nous vaut un remarquable travail sur les couleurs, celles des lumières de Paolo Vitale, celles des vêtements de Giada Masi. Le fruit, comme nous l’apprend la brochure de soirée, de tout un travail de recherche sur ces couleurs et leurs significations là-bas. Oui, un magnifique album d’images colorées-coloriées.

De l’opérette à l’opéra « Mignon » d’Ambroise Thomas  à Liège

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 A l’Opéra de Wallonie-Liège, Mignon d’Ambroise Thomas, dont nous avons assisté à la générale, confronte ses spectateurs à des atmosphères contrastées, d’abord légères comme celles d’une opérette, dramatiques ensuite comme dans un opéra. Si les voix sont tout aussi contrastées, elles sont très belles.

D’un point de vue historico-biographique, on retiendra de cette œuvre qu’elle a enfin offert reconnaissance, consécration et gloire tardives à son auteur -Ambroise Thomas avait cinquante ans quand il l’a composée et créée en 1866- et qu’elle est révélatrice des sinusoïdes des goûts lyriques : plus de 1000 représentations du vivant de son compositeur -un recor -, l’oubli ensuite. Elle n’est presque plus produite. Sa présence est bienvenue à l’Opéra de Wallonie-Liège. 

Mignon, c’est la relecture, en partie du moins, d’une œuvre de Goethe, les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister. Ce jeune homme, ému par le triste sort réservé à « un danseur », Mignon, le rachète à son histrion harceleur. Parallèlement, il est séduit par Philine, une comédienne-diva plutôt capricieuse. On va découvrir que Mignon est en réalité une belle jeune fille qu’un terrible destin n’a pas épargnée.

Que la fête (re)commence : La Bohème à l'Opéra de Liège

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Le moment était particulier, émouvant, et à double titre, pour l’Opéra de Wallonie : après les longs mois d’une fermeture obligée, rouvrir ses portes, accueillir son public, représenter un opéra. Et commencer à célébrer ses deux cents ans d’existence : tradition, pérennité, innovation, nécessité.

En ces temps de pandémie, pareille entreprise n’a pas été aisée à concrétiser. Il a fallu tenir compte de contraintes sanitaires officielles évolutives. Comment, dans ce contexte, monter une production d’opéra, dont on sait la complexité et le nombre d’intervenants qu’elle implique, pour quel public et à quelles conditions ?

C’est donc à un étrange bal masqué figé qu’on a d’abord assisté dans la salle de l’opéra, avec ses spectateurs aux mains préalablement hydroalcoolisées, répartis en bulles amicales ou familiales prudemment espacées d’un siège. Le masque cesse vite d’être gênant… dans la mesure où ce qui se chante et se joue captive.

Retour sur deux opéras rares : The Indien Queen de Purcell et Sigurd de Reyer

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En octobre, dans l’ombre des Indes Galantes dont le succès a attiré tous les regards sur Paris, deux opéras rarement mis à l’affiche ont trouvé leur place méritée en région. L’un, The Indien Queen de Henry Purcell, présenté à Lille, et l’autre, Sigurd d’Ernest Reyer, à Nancy.

The Indien Queen cinématographique

En résidence à l’Opéra de Lille, Le Concert d’Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm a présenté du 8 au 12 octobre dernier The Indien Queen de Purcell (1659-1695). Le « drame héroïque » sur un livret de John Dryden et Robert Howard, créé en 1695 à Londres, prend ici une allure de film en ciné-concert. Cette « nouvelle version » de Guy Cassier et d’Emmanuelle Haïm insiste sur les parties dialoguées. Des séquences vidéos, filmées avec les mêmes acteurs-chanteurs qui jouent sur scène, sont projetées sur cinq grands écrans qui se meuvent et se combinent de différentes façons. Le « scénario » assez décousu racontant une intrigue politique mêlée d’histoire d’amour et de jalousie dans un exotisme imaginaire de Pérou et de Mexique fantasmés, est déplacé à notre époque : informations militaires par messages SMS, vêtements noirs de tous les jours comme costumes, révélation divine transmise via des images virtuelles visibles avec les lunettes 3D… et la manière dont les acteurs disent les textes sur scène, les gestes et les regards des personnages muets sur les écrans, ainsi que les angles de prises de vue sont tels que cela donne une forte impression d’être dans une salle de cinéma plus que dans celle d’un opéra.

Gio le taxi. Don Giovanni en conclusion des Chorégies 2019.

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Le grand Patrice Chéreau disait de Wagner lorsqu’il mettait en scène son Ring du centenaire à Bayreuth en 1976 qu’il le « poussait à faire toujours plus de théâtre ».  Nous repensons souvent à ces mots quand nous découvrons la nouvelle lecture d’un opéra mais cette maxime prend tout son sens avec le Don Giovanni proposé ce mardi soir aux Chorégies d’Orange.

Œuvre intimiste à son origine, elle devient par la force des lieux un grand spectacle… à caractère sociétal. Car derrière les frasques du « scélérat charmant », c’est bien une lutte entre ancien et nouveau monde, entre ordre et désordre qui s’opère. C’est en tout cas ce que nous pensons être le postulat de départ de la mise en scène de Davide Livermore épaulé par Rudy Sabounghi (costumes), Antonio Castro (lumières) et D-Wok (vidéos). Replacer Mozart et Don Juan dans leur contexte historique et idéologique, celui de cette Europe des lumières à la veille de l’implosion, tout en montrant que ces aspirations sont toujours bien actuelles. Il suffit de suivre les évènements récents pour s’en convaincre. Alors Don Giovanni gilet jaune dans l’âme ? Nous n’irons pas jusque-là mais ange destructeur d’un modèle de société dépassé c’est une certitude !