Joliment joli : « Lakmé » de Léo Delibes 

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A l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Lakmé de Léo Delibes offre à ses spectateurs un album de belles images colorées-coloriées et surtout des ravissements vocaux. Tout cela est, n’y voyez pas d’ironie, joliment joli. 

Dans le jardin aussi magnifique que solennel d’un temple hindou, ils se voient et cela suffit pour qu’ils s’aiment. Définitivement. Mais ils ne vivent pas dans le meilleur des mondes et tout ne pourra pas y aller pour le mieux. Elle, c’est Lakmé, la fille du redoutable brahmane Nilakantha ; lui, c’est Gérald, un officier de ces forces britanniques qui ont colonisé et occupent le pays. Leur amour est impossible, elle en mourra. 

Une tragédie, oui et non. Oui dans les faits et leur enchaînement fatal, non dans la musique et les airs qui l’expriment. Si beaux pour dire le rêve impossible.

Joliment jolie : telle est la mise en scène de Davide Garattini Raimondi, absolument couleur locale. Tout dit l’Inde des représentations coloniales : processions religieuses, pétales de fleurs, statues des dieux, bougies, sari, uniformes anglais (dont nous venons de contempler à satiété les déclinaisons contemporaines lors d’un enterrement récent), portrait de la Reine Victoria. Et surtout, elle nous vaut un remarquable travail sur les couleurs, celles des lumières de Paolo Vitale, celles des vêtements de Giada Masi. Le fruit, comme nous l’apprend la brochure de soirée, de tout un travail de recherche sur ces couleurs et leurs significations là-bas. Oui, un magnifique album d’images colorées-coloriées.

Bien sûr, le metteur en scène a voulu mettre en perspective ce conte cruel, avec un jeune interprète apparaissant comme un Gandhi enfant, témoin de ce qui se joue, également incarné par un comédien en bord de scène, le Gandhi adulte ; en affichant au-dessus du plateau des citations typiques de son pacifisme, de sa non-violence ; en faisant d’un intermède dansé (dû à Barbara Palumbo) une dénonciation du colonialisme. Mais cela reste dans les marges du livre d’images scéniques que nous feuilletons. 

Une bonne idée est celle d’avoir invité sur le plateau une bande d’enfants et de jeunes adolescents : ils guident et escortent les deux amoureux, petits éros démultipliés, êtres d’innocence favorisant un amour innocent dans un univers où les adultes ont définitivement perdu leur innocence.

Joliment jolis : telle est la musique, tels sont les airs. Il n’y a jamais dans la partition de Delibes, malgré quelques épisodes plus intenses, mais assez conventionnels, de ces fractures-explosions-éruptions-déferlements qui caractérisent les grandes tragédies lyriques. Non, ce qui séduit, c’est la façon dont tout cela nous envoûte. C’est beau. 

Mais encore faut-il, pour éviter, dans ce contexte imagé-là, le piège tendu de la mièvrerie, que ces airs soient exactement magnifiés.

Et c’est alors qu’il faut saluer l’incontestable Lakmé de Jodie Devos. Scéniquement, elle est présente, si forte dans ses apparences menues, fragiles. Mais quelle présence vocale ! Comme elle habite chaque air, comme elle en exprime les tonalités contrastées, du bonheur paisible initial, des émerveillements de l’amour jusqu’à la résolution finale. Justesse, précision, nuances, aisance, ductilité du chant. Elle transcende ainsi sa réalité indienne pour exprimer des sentiments et des émotions intemporels, universels. Nous avons pour elle les yeux et le cœur de Gérald !

Un Gérald de belle présence aussi grâce à Philippe Talbot. Quant à Lionel Lhote, il est cette voix, sombre et forte, éclatante et atterrée, qui dit la révolte, la vengeance et la douleur face à l’inévitable.

Pierre Doyen (Frédéric), Marion Lebègue (Mallika), Julie Mossay (Ellen), Caroline de Mahieu (Rose), Sarah Laulan (Mistress Bentson) et Pierre Romainville (Hadji), sont les interlocuteurs bienvenus des tristes héros. Que Frédéric Chaslin, l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra veillent à mettre en juste valeur.

Stéphane Gilbart

Liège, Opéra Royal de Wallonie-Liège, le 20 septembre 2022

Crédits photographiques : ORW-J.Berger

 

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