Que la fête (re)commence : La Bohème à l'Opéra de Liège

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Le moment était particulier, émouvant, et à double titre, pour l’Opéra de Wallonie : après les longs mois d’une fermeture obligée, rouvrir ses portes, accueillir son public, représenter un opéra. Et commencer à célébrer ses deux cents ans d’existence : tradition, pérennité, innovation, nécessité.

En ces temps de pandémie, pareille entreprise n’a pas été aisée à concrétiser. Il a fallu tenir compte de contraintes sanitaires officielles évolutives. Comment, dans ce contexte, monter une production d’opéra, dont on sait la complexité et le nombre d’intervenants qu’elle implique, pour quel public et à quelles conditions ?

C’est donc à un étrange bal masqué figé qu’on a d’abord assisté dans la salle de l’opéra, avec ses spectateurs aux mains préalablement hydroalcoolisées, répartis en bulles amicales ou familiales prudemment espacées d’un siège. Le masque cesse vite d’être gênant… dans la mesure où ce qui se chante et se joue captive.

Mais une telle situation complexe peut avoir des conséquences inattendues, particulièrement heureuses, quant à la réalité de ce qui est représenté. Pour éviter la promiscuité des musiciens entassés dans la fosse d’orchestre, il a fallu en réduire le nombre. Et là, ô miracle, plutôt que d’approximatives solutions musicales, on a trouvé une partition toute prête absolument adaptée aux circonstances ! Due au musicologue Gerardo Colella, avec ses vents par un et moins de violons, elle était spécialement destinée aux petits théâtres italiens qui ne pouvaient accueillir une imposante formation. C’est une décision heureuse : l’opéra de Liège étant « à dimension humaine », les sons s’y diffusent sans problème. Plus précisément, cette formation « chambriste », cette mezza musica, convient particulièrement pour les séquences intimistes de l’œuvre : nous sommes au cœur de la partition, nous sommes à l’unisson des sentiments. Quant aux savoureux épisodes de joyeuse taquinerie amicale qui opposent les bohèmes fauchés, les vents isolés leur confèrent du piquant, de l’espièglerie.

Dans sa mise en scène, Stefano Mazzonis di Pralafera a installé cette bohème-là dans le Paris artistiquement effervescent des années 1945-50, dans une approche cinématographique, aux efficaces décors modulables de Carlo Sala. Il y a notamment des effets de zoom absolument réussis, qui culminent dans la scène de la mort de Mimi : deux faisceaux de lumière saisissent Rodolfo et Mimi ; un seul faisceau s’attarde sur elle, morte, dans l’extinction de la musique ; émotion intense, rideau.

Bonheur de cette production ! Il y a longtemps qu’Angela Gheorghiu a chanté sa première Mimi ; elle nourrit celle-ci de tout son talent accompli, d’une superbe maturité d’expression ; elle n’a plus rien à prouver, elle est. Dans cette version orchestrale, elle peut nuancer tous les sentiments de sa belle et pauvre héroïne. C’est bouleversant. Stefan Pop, même s’il a tendance à passer parfois un peu en force, réussit à conjuguer vocalement toutes les facettes de son personnage, joyeux poète et amoureux délicat. La Musetta de Maria Rey-Joly nous a moins convaincu : la vitalité de son jeu scénique a sans doute amoindri les couleurs de son interprétation. Ionut Pascu réussit, lui, en Marcello, un bel équilibre du chant et du jeu. Quant aux autres, Kamil Ben Hsaïn Lachiri-Schaunard, Ugo Guagliardo-Colline, Patrick Delcour-Benoît-Alcindoro, ils ont contribué aux atmosphères si efficacement contrastées du livret et de la partition.

Les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra, justement dirigés par Frédéric Chaslin, n’ont pas raté l’occasion que leur fournissait la partition réduite pour faire valoir leurs belles qualités davantage solistes.

Liège, Opéra Royal, 20 septembre 2020

Crédits photographiques : Opéra Royal de Wallonie-Liège

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