Les Contes d’Hoffmann à La Monnaie : les comptes sont-ils bons ? 

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Le retour des Contes d’Hoffmann sur la scène de La Monnaie était un évènement ! En effet, l’opéra fantastique de Jacques Offenbach fit les beaux jours de la scène bruxelloise que ce soit dans la mise en scène de Maurice Béjart dans les années 1960 ou celle de Gilbert Deflo dans les années 1980. Quant à l’icône nationale José van Dam, il enregistra l’oeuvre avec Sylvain Cambreling et ses forces belges dans les années 1980 pour le label EMI, intégrale qui fait encore figure de belle référence. Mais l’évènement de cette nouvelle production est musical !

On connaît la genèse complexe de cet opéra qui fut créé à titre posthume. Face à la multitude des sources, différentes éditions existent, connues sous des appellations très codées : Choudens, Felsenstein, Oeser, Kaye 1, Kaye 2…. Cependant, au fil du temps de nouveaux manuscrits réapparaissent et peuvent être intégrés au texte musical. Dans ce contexte, Michael Kaye et Jean-Christophe Keck, les meilleurs connaisseurs du “Mozart des Champs-Elysées” ont élaboré l’édition la plus exhaustive (publiée chez les Allemands de Schott), mais qui permet aux interprètes d’opérer des choix. Alain Altinoglu dirige donc l’édition la plus complète à ce jour en privilégiant les récitatifs au texte parlé (flexibilité que permet cette édition). Prolongement de cette qualité éditoriale, le directeur musical de La Monnaie dirige Offenbach avec toute la justesse stylistique et les couleurs requises au pupitre d’un orchestre qui est toujours musicalement parfait. Certes les sonorités ne sont pas toujours les plus flatteuses mais le ton est exemplaire sous une baguette qui mène l’oeuvre idéalement tant narrativement que poétiquement. 

Deux casts étaient proposés et nous avons entendu la seconde distribution. Pour ses débuts dans le rôle d’Hoffmann le jeune ténor Enea Scala fait preuve de vaillance et de charisme vocal et scénique. Sa pointe d’accent italien lui donne une touche exotique assez séduisante. Dans tous les cas, le ténor est un nom à suivre dans ses futures prises de rôles bruxelloises annoncées dans le programme. Alternant avec Patricia Petibon, la soprano Nicole Chevalier a des moyens vocaux très puissants et une solide technique. Elle est plus à l’aise avec le dramatisme d’Antonia et les vocalises d’Olympia qu’avec l’ambiguïté de Giulietta (qui est mal définie par la scénographie). La mezzo-soprano Canadienne Michèle Losier est un Nicklausse phénoménal d’engagement scénique et vocal. L’impressionnante basse Gábor Bretz assure avec le charisme vocal requis les rôles de méchants. Un grand luxe est apporté aux “petits rôles” avec rien moins que Sir Willard White en Luther et Crespel ou Sylvie Brunet-Grupposo dans la voix de la tombe. Le reste de la distribution est excellent que ce soit le brillant Loïc Félix dans les rôles de valets ou Yoann Dubruque en Shémil et Hermann. Le choeur, omniprésent dans cette partition, est excellent.  

La nouvelle production a été confiée au trublion mais presque sexagénaire Krzysztof Warlikowski, fidèle de La Monnaie. Le metteur en scène polonais avait à se faire pardonner une production calamiteuse de De la Maison des morts  de Leoš Janáček proposée la saison dernière... Mais Krzysztof Warlikowski, c’est un concept global d’une équipe fidèle (Malgorzata Szczęśniak aux décors et costumes ou Jacques Longchamps à la dramaturgie). Le Polonais plaque sur toutes les oeuvres sa grille esthétique avec cette éternelle fascination pour le cinéma et, ici, une analogie avec le film A Star is Born de George Cukor (1954). Une histoire dans l’histoire narrée en anglais, qui n’apporte strictement rien, est ainsi posée unilatéralement sur l’oeuvre d’Offenbach. On notera cruellement que si le texte est scrupuleusement respecté par Alain altinoglu, la dramaturgie est traitée avec une grande désinvolture... Dès lors, Warlikowski va souffler le chaud et le froid. L’acte III d’Antonia est une grande réussite par sa puissance dramaturgique et il est le plus réussi au point de vue scénique par son action théâtrale tendue et la force de la direction d’acteur. Les actes I et II sont menés avec compétence routinière mais sans génie mais il faut reconnaître au metteur en scène une capacité à animer les scènes de foule et habiter un plateau par de nombreux détails dans l’attitude des comparses, même si les gags comiques s'avèrent rarement drôles. Hélas, les actes IV et V sont complètement ratés avec le retour de la vidéo en gros plans, que Warlikowski ressort dans ses mises en scène dès qu’il n’a plus d’idées…Les personnages sont inaboutis à l’image de Giulietta presque abandonnée faute de direction. Le scénographe semble s’encroûter dans une routine sénile de son propre langage avec ses tics scéniques ou de ses analogies faciles et racoleuses (Gábor Bretz maquillé en Joker). Certes, c’est finalement professionnel malgré les lacunes et les facilités, mais c’est globalement creux et l’oeuvre mérite tellement mieux. 

La grande force de ces Contes d’Hoffmann est qu’ils apparaissent toujours géniaux quelles que soient les lubies des metteurs en scène. Si musicalement, le compte y était, scéniquement, on attendra encore !      

Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, 22 décembre 2019

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Bernd Uhlig

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