Dialogues des Carmélites, chef-d'oeuvre de Poulenc

par

Nabil Suliman (Le-Geôlier),Véronique Gens (Madame Lidoine), Angélique Noldus (Soeur Matilde), Mireille Capelle (Mère Jeanne) ©Baus.jpg

Loin des fresques flamboyantes adoptées pour Les Huguenots (2011) ou Hamlet (2012) sur cette même scène de La Monnaie, Olivier Py approche le chef-d'oeuvre de Poulenc avec toute l'épure et la sobriété attendues. Et ce, dès le deuxième tableau du premier acte, lors de l'entrée dans les ordres de Blanche, saisissante. Coproduit par le Théâtre des Champs-Elysées, où ils furent créés en 2013, ces Dialogues des Carmélites impressionnent. L'oeuvre, tout d'abord, écrite dans un grand élan d'enthousiasme, par Georges Bernanos, d'après le scénario d'un film sur la nouvelle "La dernière à l'échafaud", de Gertrud von le Fort (1931). La Révolution ne sert que de toile de fond. Poulenc, qui avait retrouvé la foi suite à la mort d'un ami, s'est petit à petit éloigné de son aspect "voyou" pour essayer d'atteindre le stade de "moine" (Cl. Rostand). La musique sacrée lui importait, et son Stabat Mater, comme son Gloria, comptent parmi les plus belles pages du genre au XXe siècle. Les Dialogues des carmélites ne sont certes pas un opéra "sacré". Aucune intrigue amoureuse, ce qui est très rare à l'opéra. La thématique centrale est le transfert de la grâce divine d'une prieure qui doute, affolée par sa mort prochaine, dans le corps et l'esprit d'une jeune carmélite qui, elle,  vaincra ses craintes pour mourir sous la guillotine avec ses consoeurs.  Musicalement, la partition, assez développée, se caractérise par un souci de la prosodie, hérité de Pelléas et Mélisande, et par une force dramatique inspirée de Moussorgski, Verdi, Wagner ou Massenet. Certaines scènes s'élèvent au sublime : la mort terrifiante de la première prieure, la dernière rencontre entre le chevalier de la Force et Blanche, puis celle avec Mère Marie en civil, et enfin cette montée finale à l'échafaud, tableau inoubliable, qui, à lui seul, résume tout l'opéra dans la mémoire de chacun. L'orchestre est normal ("celui de Verdi", précise Poulenc), mais finement employé, entre autres dans les si beaux interludes séparant les tableaux, comme la sarabande qui ouvre l'acte IV. Alain Altinoglu a fort bien saisi cette approche délicate et respecté un équilibre parfait entre la fosse et le plateau. Peter de Caluwe, en excellent directeur de casting, a réuni une distribution éblouissante. Avant tout, il faut saluer Patricia Petibon en Blanche de la Force : émouvante et tendue, sa prestation était exceptionnelle. A égal niveau, félicitons Sophie Koch en Mère Marie, à l'autorité cinglante, qui aurait bien voulu être seconde prieure. Celle-ci était incarnée par une Véronique Gens un peu distante, absente même, comme si elle laissait la suite de l'histoire à d'autres. Un grand bravo à Sophie Pondjiclis, soprano grecque, qui remplaçait Sylvie Brunet, indisposée. Sa grande scène, où elle meurt crucifiée, comme le Christ, qui lui aussi a douté à ses derniers instants, témoignait d'un sens prodigieux du tragique. La si gentille Soeur Constance était jouée avec éclat par Sandrine Piau. Mireille Capelle et Angélique Noldus chantaient impeccablement mère Jeanne et soeur Mathilde. La distribution masculine était dominée par Stanislas de Barbeyrac, très intense chevalier de La Force. Le marquis de Nicolas Cavallier n'intervient que dans la première scène, mais impose. Un grand bravo au vétéran Guy de Mey, magnifique aumônier, dont il bien rendu le côté ambigu.
Voilà une version d'un chef-d'oeuvre de l'opéra de XXe siècle que l'on n'oubliera pas de sitôt, par la perfection dramatique autant que musicale.
Bruno Peeters
Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, vendredi 8 décembre 2017

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