Tedi Papavrami: Apologie de la Solitude

par

0126_JOKEROeuvres pour violon seul : BACH, PAGANINI, BARTÓK, SCARLATTI, YSAYE
Tedi PAPAVRAMI, violon
2013 - 423’39’’ (6 CD) - Textes de présentation en français et anglais - Zig-Zag Territoires ZZT320
« Enfin seul, sans s. » A la suite de Jules Renard, ce sont ces mots que paraît susurrer, entre les notes, au fil de ces sept heures de musique, Tedi Papavrami – à moins qu’il ne s’agisse de son instrument, puisque l’un et l’autre ne semblent plus faire qu’un?
On ne peut que remercier Zig-Zag Territoires d’avoir eu la bonne idée de rassembler en un seul coffret les six disques édités auparavant par Aeon qui ont vu s’illustrer le brillant violoniste d’origine albanaise. On y retrouve les Sonates et Partitas de Bach, les Caprices de Paganini (en version studio et en live à Tokyo), la Sonate de Bartók, ainsi que quelques transcriptions d’œuvres pour clavier de Bach et Scarlatti réalisées par Papavrami lui-même. S’y ajoute la Deuxième Sonate d’Ysaÿe, en guise de bonus.
Tout instrumentiste s’accordera sur le fait qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. Mais la solitude ne sied pas à tout le monde. A Papavrami, elle va en revanche comme un gant. A tel point d’ailleurs qu’en redécouvrant ces enregistrements, on se surprend à se demander si ce prodige ne serait pas en train de se faire une place au Panthéon des violonistes. L’énergie qu’il insuffle aux œuvres de Bach, l’aisance avec laquelle il s’acquitte des nombreux défis qui les jalonnent, et surtout le souci évident de ne pas sacrifier sur l’autel de la virtuosité la profondeur des sentiments: tel est le cocktail explosif que nous concocte Papavrami et qui ne peut manquer de ravir l’auditeur. Papavrami transcende l’austérité de façade des pièces du Cantor de Leipzig, se mue en homme-orchestre et pénètre sans retenue dans les tréfonds de l’âme. Tout se passe comme si le violon se déployait, se décuplait pour occuper l’espace (que les sceptiques s’en convainquent à l’écoute de l’Allegro de la Deuxième Sonate BWV 1003 et de la fameuse Chacone de la Partita BWV 1004 !). Dans Bach, la flamme qui anime Papavrami, le timbre rond et chaleureux de son instrument et la luxuriance de l’expression évoquent nul autre que Grumiaux; on retrouve chez Papavrami la même assurance indéfectible, la même luminosité et la même ferveur dans le propos que chez son illustre prédécesseur. La justesse à toute épreuve de l’intonation – qui relève évidemment de l’exploit dans ce répertoire truffé d’écueils –, et ce même dans la version de concert des Caprices de Paganini, mériterait à elle seule un « chapeau bas » ! Au bout du compte, c’est un inénarrable sentiment de liberté qui se dégage de ces enregistrements. Il n’est que les Caprices du prodige italien, dont tant de violonistes (à l’exception peut-être du seul Itzhak Perlman) peinent à donner une autre image que celles d’études laborieuses, qui ne se montrent ici sous un jour nouveau. Quant aux transcriptions des sonates de Scarlatti, elles ne sont pas en reste (admirable Sonate KK 141 !).
« On peut tout acquérir dans la solitude, hormis du caractère », écrit Stendhal. Papavrami lui donne tort. A coup sûr, un artiste à suivre de près!
Olivier Vrins

Son 9 – Livret 6 – Répertoire 10 – Interprétation 10

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