Triomphe de Mariss Jansons dans un Requiem de Mozart à foi de tribun

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Requiem en ré mineur K. 626. Genia Kühmeier, soprano. Elisabeth Kulman, mezzo-soprano. Mark Padmore, ténor. Adam Plachetka, baryton-basse. Howard Arman, Chœur de la Radio bavaroise. Mariss Jansons. Orchestre symphonique de la Radio bavaroise. Mai 2017. Livret en allemand et anglais ; paroles et traduction en allemand et anglais. TT 49’36. BR Klassik 900117

Les contrats de Mariss Jansons avec Chandos et EMI priorisèrent les œuvres symphoniques et concertantes, notamment pendant ses deux décennies à la tête de la Philharmonie d’Oslo (1979-2000). Même si l’opéra et la musique sacrée sont loin de peser dans sa discographie, le mandat du chef letton auprès du Concertgebouworkest d’Amsterdam (2004-2015), documenté par l’autochtone label RCO live, illustre un répertoire plus varié. Dont un Requiem de Mozart, capté en septembre 2011, qui avait déjà marqué par son humanisme et son étreinte syncrétique. Concomitamment à son poste amstellodamois, Mariss Jansons prit en main l’orchestre de la Radio bavaroise en 2003, jusqu’à sa disparition le 1er décembre 2019, que la session reproduite dans ce CD précède de deux ans et demi. Signalons qu’elle avait déjà été incluse dans un gros coffret de 70 disques (CD & DVD) édité voilà deux ans par le même label BR Klassik.

Hormis le respect qu’on porte au maestro, et malgré l’émotion qu’on peut rétrospectivement ressentir dans pareilles circonstances, nous n’avions pas été convaincu par l'enregistrement de son ultime concert du 8 novembre. En revanche, on reste béat devant cette bouleversante interprétation du Requiem, tant la vision relève davantage d’une scénologie religieuse que d’une messe des morts –ce qui concernant Mozart est loin d’être un contresens. On a rarement entendu lecture plus activiste de la partition, tout en préservant sa ferveur. Le distinguo importe, car il existe des interprétations encore plus véloces, plus emportées, notamment dans le sillage « baroqueux », mais sans que le dogmatisme d’école et le laboratoire de procédés n’y semblent comme ici asservis à une évidente nécessité dramaturgique, qui pourra rappeler la flamme d’un Hermann Scherchen (Westminster) ou le zèle refondateur d’un Nikolaus Harnoncourt (Teldec).

Car Mariss Jansons conjoint le meilleur de tous les mondes : une pratique historiquement informée, et le noble geste expressif légué par la tradition romantique de direction, incarnée par exemple par les témoignages de Karl Böhm, Herbert von Karajan (chez DG) ou Carlo Marlo Giulini (Emi). On saluera une animation intestine de la masse instrumentale et chorale, fourmillant de détails, d’impetus, ainsi dès les scansions des contrebasses, plutôt boutoirs qu’arcs-boutants, qui éperonnent l’Introitus, et jusqu’aux trombones à la fin de l’Hostias. La nervure aussi texturée que colorée s’épanche pourtant dans un orchestre charnu, qui sait se prêter à des tempos cravachés (Dies Irae) sans amenuiser sa masse. Idem pour les chœurs, qui en ces terres d’ancienne souche catholique, concilient une matière vibrante, riche d’individualités, et une déclamation collective sincère à éveiller le grandiose (la fugue du Kyrie), en affinité avec ce qu’elle chante.

Quelle meilleure preuve que la frémissante éloquence du Rex tremendae ? S’y allient des vertus apparemment contradictoires : l’élan et la puissance, la plénitude et le foisonnement, la rhétorique et une authentique spiritualité. Autre démonstration dans le Confutatis où une époustouflante vigueur contraste avec le recueillement, et dans un poignant Confutatis où la précision des accents s’érige d’un ardent catafalque. Pour ne rien dire d’un Domine Jesu impulsé avec panache, où les replis mezza-voce se ne départissent pas de suggestivité et s’intègrent à une architecture aussi mouvante qu’incoercible.

Le quatuor de solistes se distingue aussi par son investissement où dans le Tuba mirum s’exprime la verve d’Adam Plachetka. Mark Padmore y compense une voix un peu courte par un fier timbre d’argent et une agile diction. Le ténor anglais et le baryton-basse rivalisent d’effet dans le Recordare, quand les deux dames s’en tiennent au charme d’une prestation veloutée, fondamentalement tendre et lumineuse. Le plateau séduit et enchante encore dans un Benedictus qui exorcise tout spectre de deuil. La miséricorde débouche sur un aveuglant Agnus Dei qui semble proclamer que le génie mozartien, dans une œuvre testamentaire où le compositeur entrevit sa mort, survivra aux siècles. 

Un magistral Cum sanctis tuis in aeternum vient ainsi accréditer ce triomphe sur les corruptibles empires de chair, et vient parapher un enregistrement qui laisse admiratif de bout en bout. Il rejoint là le premier cercle d’une discographie pourtant abondante, d’autant que son esthétique fédératrice saura rallier les suffrages et conquérir le plus large public, celui soucieux des investigations sur le style d’époque comme celui qui entend se laisser porter par un grand souffle à l’abri des modes. Un sommet auquel l’ampleur et le relief de la prise de son offrent toute sa flagrance. C’est bien chœur et orchestre, galvanisés par un maestro au faîte de son art, qu’on a parfois dit sobre, qui portent l’étendard de cette version où le pathos se théâtralise en un palpitant spectacle. Il n’y aurait guère qu’une raison qui dissuaderait d’investir dans ce disque, pour les mélomanes qui souhaitent l’appoint de l’image : le même concert munichois se trouvait dans un DVD précédemment paru, chez Belvedere.

Christophe Steyne

Son : 9,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

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