Un Peter Grimes sans Grimes

par

Benjamin BRITTEN (1913-1976)
Peter Grimes

A. Oke (Peter Grimes), G. Allen (Ellen Orford), D. Kempster (Captain Balstrode), G. Keeble (Auntie), solistes, The Chorus of Opera North, Chorus of the Guildhall School of Music & Drama, Britten-Pears Orchestra, dir.: Steuart BEDFORD, réalisation : Margaret WILLIAMS
2013-1 DVD-141'-Notice en anglais, français et allemand-chanté en anglais-Arthaus Music 102 179

Filmé en juin 2013, ce CD s'intitule à juste titre Peter Grimes on Aldeburgh beach, étant tourné sur les lieux mêmes du drame. Comme l’explique la metteur en scène Margaret Williams : "Ce décor, long de 40 mètres, représentait une promenade ruinée par la tempête, une métaphore de l'esprit tourmenté de Peter Grimes. (...) Le décor serait dressé à même les galets, là où la plage descend directement sur la mer, et le public assisterait au spectacle assis sur la plage.’’ Idée magnifique et très bien réalisée par ce film-opéra. Dès le premier interlude, si connu, nous voilà plongés dans ce petit village côtier : le spectateur y croit totalement et évolue dans cet exceptionnel décor naturel. De splendides images marines, de l'aube à la nuit finale, illustrent chacun des quatre interludes, ainsi que la passacaille de l’acte II. Le décor, barques et outils de pêche, s'estompe petit à petit, la nuit venant, mais imprègne l'intrigue tout au long de l'opéra. La mer, surtout, et son bruit incessant, visible puis invisible, domine tout et hante l'action, l'âme même des protagonistes. Comme dans toute bonne production de Peter Grimes, l'ensemble des villageois du "borough" doit dominer, car c'est lui qui écrasera Grimes : c'est le cas ici. Aucun personnage ne s'en distinguera vraiment, c'est la foule, le peuple, les gens : la terrible "opinion publique", la terre des ragots. La direction d'acteurs du choeur est remarquable, tout comme celle des trois rôles qui s'en échappent un peu : la bonne Ellen Orford, mais surtout le compatissant Balstrode de David Kempster et une très brillante Tantine (Auntie) de Gaynor Keeble. Hélas, il y a le Peter Grimes de Alan Oke. Non, il ne démérite pas, chante bien, et interprète son personnage avec beaucoup de douleur. Trop peut-être, jusqu'à en paraître sympathique. Alan Oke est un bel acteur/chanteur de composition, mais n'est pas Peter Grimes. Aucun charisme, aucune violence surtout. Ce n'est pas un homme différent, écartelé, haï de tous. Son Grimes est un vaincu d'avance, il ne se rebelle jamais. La dimension mythique qu'avait pu lui conférer un Jon Vickers par exemple manque totalement. Ce Peter Grimes, c'est un peu comme une Carmen sans Carmen. Heureusement, le drame est suffisamment fort pour supporter ce manque, mais l'ensemble demeure un peu bancal, et la tragédie boîte. Une très belle scène est celle de la poursuite finale des villageois au dernier acte, superbement menée. Le peuple vengeur court derrière un absent... Production inaboutie donc, passionnante pour l'idée du décor in situ : mais l'idée ne suffisait pas : il fallait un héros.
Bruno Peeters

Les commentaires sont clos.