Tragédies arméniennes

par

0126_JOKERTigran MANSURIAN (°1939)
Quasi parlando
Patricia KOPATCHINSKAIA (violon), Anja LECHNER (violoncelle), Amsterdam Sinfonietta, dir. : Candida THOMPSON
DDD–2015–62’ 36’’–Texte de présentation en allemand et en anglais-ECM 481 0667

Il serait exagéré de dire que Tigran Mansurian est le compositeur officiel de l’Arménie actuelle, mais ce qui est sûr, c’est que son œuvre entière – une œuvre fort vaste – est indissociable de la culture et de la civilisation de ce pays trois fois millénaire, dont la longue histoire n’a jamais été qu’une suite ininterrompue d’épreuves, de malheurs et de tragédies. Les quatre partitions qui figurent sur ce disque en constituent d’ailleurs d’émouvants témoignages : le Double Concerto pour violon, violoncelle et orchestre à cordes, le Concerto n° 2 pour violon et orchestre à cordes, Romance pour violon et orchestre à cordes et Quasi parlando pour violoncelle et orchestre à cordes, composées respectivement en 1978, 2006, 2010 et 2012. Car ce sont, en vérité, quatre tragédies musicales – quatre complaintes qui semblent venues de la nuit des temps et dont l’écho n’arrête pas de résonner, un peu comme s’il s’accordait à jamais au destin de l’humanité tout entière.
Quoique Tigran Mansurian possède un style personnel, un registre minimaliste rappelant tantôt Arvo Pärt, tantôt Gyia Kancheli, sa musique se situe dans le sillage de celle de Komitas, le nom de prêtrise de Shogomon Soghonian (1869-1935), sans doute le musicien arménien le plus emblématique de la première moitié du XXe siècle (Komitas s’étant beaucoup inspiré des musiques folkloriques arméniennes, des historiens l’ont volontiers comparé à Béla Bartok ou à George Enescu.) Dans son Quasi parlando, dont le titre n’a rien de gratuit, Tigran Mansurian va même jusqu’à citer Komitas, et d’une façon si flagrante qu’on a l’impression d’entendre ici une œuvre actualisée, modernisée et minimalisée de son grand prédécesseur. À la fois intense et austère, Quasi parlando ne dure que huit minutes – huit minutes que la jeune violoncelliste allemande Anja Lechner parvient à rendre poignantes, presque déchirantes. Dans les pièces qu’elle exécute, la violoniste d’origine moldave Patricia Kopatchinskaia se montre pour sa part tout aussi subtile, exactement comme elle l’avait été en 2009 dans la magnifique intégrale de l’enregistrement des œuvres pour violon et orchestre de Beethoven, avec l’Orchestre des Champs-Élysées dirigé par Philippe Herreweghe (chez Naïve). Un disque superbe.
Jean-Baptiste Baronian

Son 9 - Livret 7 - Répertoire 9 - Interprétation 10

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