Trios à clavier dédiés à des défunts : Arensky et Chostakovitch par le Trio Bellarti

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Anton Arensky (1861-1906) : Trio à clavier n° 1 en ré mineur op. 32. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Trio à clavier n° 2 en mi mineur op. 67. Trio Bellarti. 2021. Notice en polonais et en anglais. 61.58. Dux 1860.

En 2004, la pianiste Agnieszka Panasiuk et le violoncelliste Pawel Panasiuk, qui ont étudié à Gdansk pour la première nommée, à Varsovie pour le second, ont parachevé leur formation musicale à Londres et y ont fondé, avec la violoniste Chihiro Inda, le Trio Bellarti. Cet ensemble a gravé des pages de compositeurs britanniques ou japonais (chez Mittenwald), mais surtout, en 2012, un album consacré à Andrzej Panufnik. Plus récemment, le couple Panasiuk a collaboré, au sein du même trio, avec la violoniste Anna Wandtke, formée à Gdansk et à Mannheim. Pour le label Dux, ils ont enregistré en 2020 un album dédié à de la musique de chambre islandaise. Cette fois, c’est un couplage de deux trios à clavier qu’ils proposent. Des pages de compositeurs de générations bien différentes, qui n’ont en commun que l’année 1906, Arensky ayant disparu le 25 février, alors que Chostakovitch voyait le jour le 12 septembre.

Originaire de Novgorod, Anton Arensky a étudié auprès de Rimski-Korsakov à Saint-Pétersbourg et a été professeur au Conservatoire de Moscou. Parmi ses élèves, figurent Glière, Rachmaninov, Gretchaninov et Scriabine. Après un retour à Saint-Pétersbourg à la tête du chœur de la chapelle impériale, Arensky, atteint de tuberculose, sera soigné en Finlande où il mourra à moins de 45 ans. Il laisse à la postérité des oeuvres pour orchestre, trois opéras, des pièces instrumentales et de la musique de chambre. Dans ce dernier domaine, ses deux trios à clavier sont de très belles partitions, dans la tradition romantique.

Arensky dédie son Trio à clavier n° 1 op. 32 de 1894 à la mémoire du violoncelliste Karl Davydov (1818-1889) qui fut directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg quand Arensky y était élève. L’influence de Mendelssohn et de Schumann, mais aussi de Tchaïkovski, qu’Arensky admirait, est manifeste dans cette partition sensible et généreuse, dont témoigne la richesse mélodique de l’ample Allegro moderato initial. L’hommage à Davidov se concrétise au fil des mouvements par la place importante accordée au violoncelle, avec un Scherzo au rythme de valse, un Adagio tendre et plaintif (violon et violoncelle en sourdine) et un Allegro à l’impulsion dramatique. Ce trio a connu quelques versions, signées notamment par le Beaux-Arts Trio (Philips, 1995), le Trio Borodine (Chandos, 2004), le Münchner Klaviertrio (Profil Hänssler, 2019 -une prise de son de 1992) et, surtout, par le Trio Kinsky de Prague (Praga, 2011). Les trois solistes du Trio Bellarti en donnent une lecture chaleureuse, qui sert bien les couleurs sonores d’une œuvre très séduisante et très intense.

En 1944, Chostakovitch compose son Trio à clavier n° 2 op. 67 à la mémoire de son ami Ivan Sollertinski, musicologue et critique d’origine juive et directeur artistique de la Philharmonie de Leningrad, disparu à 42 ans suite d' une crise cardiaque. C’est sous son influence que Chostakovitch avait pris conscience de l’importance de la musique de Mahler. Dans cette partition élégiaque, le passage de la valse quelque peu névrotique du second mouvement, Allegro con brio, au suivant, un Largo en forme de passacaille, révèle la sensibilité à fleur de peau et la sincérité du compositeur. Ici, la concurrence est redoutable : le Beaux-Arts Trio (Philips, 1991), le Trio Wanderer (Harmonia Mundi, 2004), plus récemment le Trio Metal (La Dolce Volta, 2021) nous ont séduit, sans oublier le souvenir majeur d’Isaac Stern, Yo-Yo Ma et Emanuel Ax (Sony, 1987) ni, pour un déchirant retour aux sources, Chostakovitch lui-même, dès 1947, avec David Oïstrakh et Milos Sadlo (dans le coffret « Chostakovitch joue Chostakovitch », Melodiya, 2019). Le Trio Bellari, un peu trop sage, s’inscrit en retrait de ces références. Ce qui n’enlève pas le mérite d’un couplage teinté de générosité, vu le contexte de l’écriture des œuvres. 

Son : 8,5  Notice : 7  Répertoire : 10  Interprétation : 8

Jean Lacroix

 

 

 

 



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