Un compositeur de chez nous, célébré dans les bibliothèques, enfin remis à l’honneur au disque !

par

Jacques ARCADELT (1507-1568) : Motets, madrigaux et chansons.  Chœur de chambre de Namur et Cappella Mediterranea, dir. Leonardo GARCÍA ALARCÓN. Doulce Mémoire, dir. Denis RAISIN DADRE. 2018-57’54"-60’40"-68’38"-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Ricercar RIC 392

 

C’est au musicologue belge Paul Moret que l’on doit d’avoir déterminé, en 1980, la date de naissance de Jacques Arcadelt (ou Archadelt, Arcadet, Harchadelt) : ce n’est pas « vers 1514 », comme l’affirmait encore l’édition 1996 du Larousse de la musique, mais le 10 août 1507 que naquit Arcadelt. Originaires d’Elt (ancienne graphie de Haltinne), les d’Arche d’Elte étaient, comme leur nom le donne à penser, installés en bordure de la forêt d’Arche. Considéré, avec Philippe Verdelot et Costanza Festa, comme l’un des créateurs du madrigal italien, Arcadelt donna au genre sa forme définitive, dégagée de la frottola, essentiellement homophonique. Après un probable séjour romain, le Namurois débute sa carrière à Florence auprès des Médicis. Il intègre ensuite le personnel de la Cappella Giulia dans la cité éternelle, à l’instant même où Michel-Ange orne la chapelle Sixtine des fresques du Jugement dernier. En 1545, le pape Paul III le nomme chanoine de Liège. Le compositeur quitte Rome après la mort du Pontife, le 10 novembre 1549. De retour en France, il entre au service du cardinal Charles de Lorraine, frère du Duc de Guise, et termine sa carrière au service des Rois de France, Henri II et Charles IX, de 1554 à 1562. Dans sa correspondance, Michel-Ange, dont le compositeur wallon mit en musique plusieurs poèmes, ne cache pas son admiration pour « il canto d’Arcadelt ». D’autres grands peintres, tels que le Caravage, reproduiront dans leurs toiles qui un madrigal, qui une chanson du maître. Le nom d’Arcadelt se retrouve encore, entouré d’éloges, sous la plume d’un François Rabelais et celle d’un Pierre de Ronsard.

Aujourd’hui encore, tous les dictionnaires et encyclopédies de la musique dignes de ce nom réservent une place de choix à Arcadelt. Mais qu’avons-nous retenu de son œuvre ? Les chorales d’amateurs croient en connaître l’Ave Maria, qui n’est pourtant qu’un contrefactum réalisé au XIXe siècle au départ d’une chanson du Namurois, Nous voyons que les hommes, par Pierre-Louis Dietsch, maître de chapelle de l’église Saint-Eustache, puis de celle de la Madeleine, à Paris. En 1862, Franz Liszt s’inspira de l’édition de Dietsch pour accoucher de deux compositions pour orgue, intitulées hâtivement Ave Maria d’Arcadelt ! Sans doute les mélomanes épris de musique ancienne se souviendront-ils avoir entendu les King’s Singers dépoussiérer le célèbre Il bianco e dolce Cigno et la chanson Margot labourez les vignes.

Un madrigal, une chanson et un faux ; c’est à peu près tout ce dont la mémoire collective se souvenait à propos d’Arcadelt…

Jusqu’au jour où l’extraordinaire clairvoyance d’un Jérôme Lejeune ramena à la vie un large pan de son œuvre. Il fallait faire preuve d’une audace particulière pour nous présenter d’emblée, après une si longue et impardonnable léthargie que nul autre avant lui n’avait osé interrompre, un florilège aussi copieux d’œuvres d’Arcadelt, illustrant les trois genres dans lesquels ce dernier s’est illustré : le madrigal, la chanson et la musique sacrée.

« Arcadelt a hérité à Namur de la technique des Franco-Flamands. À Florence, il a acquis l’élégance dans l’écriture musicale poétique, à Rome le contrepoint somptueux des grands espaces et à Paris les échos de la danse, de la musique de cour et de la chanson ». C’est ainsi que Leonardo García Alarcón résume, en quelque sorte, le programme de ce triple CD, qui voit briller de mille feux l’ensemble Doulce Mémoire dans les chansons, le Chœur de chambre de Namur dans les motets et – avec un peu moins d’éclat – la Cappella Mediterranea dans les madrigaux.

Inévitablement influencés par Josquin Desprez, les motets d’Arcadelt datent de ses séjours romain et florentin. Les premiers furent édités par Jacques Moderne dès 1532 (alors que le compositeur était âgé de 25 ans à peine !). Dès 1530 cependant, plusieurs recueils imprimés contiennent des chansons du Namurois. Ses cinq livres de madrigaux, publiés entre 1539 et 1544, privilégient le madrigal à 4 voix. Ce n’est pas tant par la technique d’écriture, alternant homophonie et polyphonie, que par la diversité de l’expression qu’Arcadelt se distingue de ses contemporains ; tantôt agités, tantôt doux, charmants ou mélancoliques, ses madrigaux serviront de modèles à de nombreux compositeurs jusqu’à la fin du XVIe siècle. Certains en réaliseront des arrangements, d’autres les reprendront sous forme de tablatures -plus d’un tiers des madrigaux du Premier Livre seront réédités sous forme de tablatures pour le luth ou la guitare. Ce Premier Livre de Madrigaux, publié à Venise, sera réédité pas moins de 43 fois jusqu’en 1654 ; un succès sans précédent à l’époque ! On doit également à Arcadelt quelques motets (une trentaine seulement), vestiges des fonctions qu’il exerça à la chapelle papale. Pour autant, Arcadelt ne renia pas ses origines : en effet, il apporta également sa contribution au style de la chanson française, publiant notamment à Paris, dès 1547, ce qui peut être considéré comme les premières chansons en forme d’air. Sa production en la matière (126 chansons !) s’étale sur toute sa carrière. D’une texture simple et claire, elles se distinguent nettement des chansons d’un autre Wallon, Roland de Lassus, dont le style avoisinera celui des motets.

A la faveur de combinaisons vocales et instrumentales ingénieuses, Doulce Mémoire pare ces chansons de mille couleurs et d’une fraîcheur qui mènent à l’enchantement ! La diction et la texture sont étincelantes de pureté. Même clarté dans les madrigaux, même si la Cappella Mediterranea n’atteint pas toujours ici les cimes que survole allègrement son homologue ligérien. Quant au Chœur de Chambre de Namur, nul ne pouvait sans doute ressusciter avec autant de conviction et de ferveur une poignée de motets d’Arcadelt. Des trois messes attribuées au compositeur namurois, nous retrouvons ici l’Agnus Dei de la Missa Ave Regina Caelorum. Mais on nous promet déjà l’enregistrement, à brève échéance, d’une messe complète. Que de joie en perspective ! Saluons, pour terminer, les riches commentaires de Jérôme Lejeune qui accompagnent ces redécouvertes majeures.

Olivier Vrins

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

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