L’Orfeo de Monteverdi par Alarcón : un éblouissement

par

Claudio Monteverdi (1567-1643) : L’Orfeo. Valerio Contaldo (Orfeo), Mariana Florès (La Musica, Euridice), Giuseppina Bridelli (La Messaggiera), Ana Quintans (La Speranza, Proserpina), Alejandro Meerapfel (Plutone), Salvo Vitale (Caronte), Nicholas Scott (Pastore I, Spirito III, Eco), Alessandro Giangrande (Pastore III, Apollo), Carlo Vistoli (Pastore II), Julie Roset (Ninfa), Matteo Bellotto (Pastore IV), Philippe Favette (Spirito) ; Chœur de Chambre de Namur ; Cappella Mediterranea, direction Leonardo García Alarcón. 2020. Notice en français, en anglais et en allemand. Livret en langue originale, avec traductions française et anglaise. 106.21. Un album de deux CD Alpha 720. 

Les versions de L’Orfeo de Monteverdi n’ont pas manqué ces derniers temps : en moins d’un an, le label Naïve a proposé l’excellente vision d’I Gemelli, sous la direction d’Emiliano Gonzalez Toro, qui chantait aussi le rôle d’Orfeo. Ce fut ensuite, chez BIS, un album des Ensembles Lundabarock, Höör et Altapunta, menés par Fredrik Malmberg. Voici qu’à son tour Alpha publie un enregistrement de l’équipe de Leonardo García Alarcón, effectué au De Singel d’Anvers du 12 au 16 janvier 2020, après une tournée internationale qui a soudé le groupe à un tel point que le résultat est fusionnel et crée l’éblouissement. 

Un véritable état de grâce a touché l’ensemble de la production : il englobe un sens de la théâtralité poussé à un haut degré, un dynamisme musical débordant de couleurs dans une conception qui, dans l’ensemble comme dans les détails, ne cesse de convaincre, un Chœur de Chambre de Namur superlatif et un plateau vocal de rêve, le tout conduit par un chef dont l’enthousiasme communicatif impressionne. Vient s’ajouter à la fête une remarquable notice de treize pages, signée par Jérôme Lejeune qui évoque la fusion entre cette fin de Renaissance et le début du baroque et explique, de façon claire, qu’à côté de notations existantes précisées par Monteverdi, une part de liberté est laissée aux interprètes. Ce dont ne s’est pas privé Alarcón en ce qui concerne le continuo, au sein duquel une orchestration brille de mille feux avec cordes, flûte, cornets, sacqueboutes, viole de gambe, guitare, harpe, trompette, clavecin ou orgue, créant un univers fascinant, plein de vigueur et d’élan, dans des tempi enlevés, les deux premiers actes étant notamment menés avec des relances de rythmes bondissants et renouvelés. Ainsi charpentée, l’œuvre va étaler toute ses qualités radieuses, tendres, douloureuses ou passionnées dans un contexte d’évidence qui ravit l’auditeur. D’autant plus que la prise de son est d’une clarté et d’une précision qui ajoutent au plaisir.

Il faut s’attarder à ce plateau vocal qui, osons le mot, relève de la perfection tant les rôles sont attribués avec justesse. Le rodage effectué en tournée a fait plus que porter ses fruits, il les a mûris et épanouis. Le ténor Valerio Contaldo est un Orfeo idéal ; avec sa voix accomplie, il se plie à toutes les exigences du rôle, aussi bien lorsqu’il exprime de façon ensoleillée l’amour qu’il ressent pour Euridice que son chagrin, puis son désespoir de l’avoir définitivement perdue. On ne peut pas résister à son exubérant « Rosa del ciel » de l’Acte I, ni à sa supplique à Caronte « Possente spirto, e formidabil nume » de l’Acte III. Et que dire, à la fin de l’Acte V, de son duo avec Apollo (le contreténor Alessandro Giangrande), « Saliam cantando al cielo », où la véritable vertu qui trouve récompense et paix en accédant au ciel est exaltée ? On est transporté par ce chant qui ne cesse d’user d’ornements poétiques. On est tout aussi saisi par la prestation de la soprano Maria Florès en Musica, aux inflexions à la fois pleines d’éloquence et sensibles à une rhétorique qui se transformera en touchante et évanescente apparition d’Euridice. En Messagggiera, la mezzo-soprano Giuseppina Bridelli distille une expressivité que l’on savoure en tremblant dans « In un fiorito prato » de l’Acte II, quand le serpent vient cruellement mettre fin à la cueillette des fleurs. La soprano Ana Quintans est une convaincante Speranza et sait se montrer galante en Proserpina. Le baryton Alejandro Meerapfel est un sévère Plutone, la basse Salvo Vitale est un Caronte aussi noir que ses fonds ténébreux, et la soprano Julie Roset est une malicieuse Ninfa. Tous sont exemplaires, ainsi que le reste de la distribution. 

La performance du Chœur de Chambre de Namur est au diapason de cette réussite totale : cohésion et splendeur vocale sont au rendez-vous. Quant à la Cappella Meditarranea, on louera tous ses instrumentistes pour leurs qualités individuelles et les couleurs contrastées utilisées par chacun, mais aussi pour l’investissement dans le soutien des chanteurs et l’osmose avec le geste global du charismatique Leonardo García Alarcón qui, décidément, ne cesse d’occuper les hautes sphères interprétatives dans chacune des partitions auxquelles il s’attache. Le premier rayon s’impose pour cet Orfeo éblouissant.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.