Un concept intriguant pour un récital poignant avec Tamara Stefanovich

par

Charles Ives (1874-1954) – Piano Sonata no°1, Béla Bartók (1881-1945) - Improvisations sur des chansons paysannes hongroises op. 20, Olivier Messiaen (1908-1992) - Cantéyodjayâ, Johann Sebastian Bach (1685-1750) - Aria Variata alla maniera italiana BWV 989. Tamara Stefanovich (piano), 79’39, Texte de présentation en anglais, Pentatone, PTC5186741

Ne serait-ce qu’en lisant son introduction fascinante au livret, il est déjà évident que Tamara Stefanovich est une femme intelligente. Comme tant d’autres grands artistes, sa pensée ne se confine pas à la musique ; son multiculturalisme et ses études de psychologie et de sociologie nourissent le questionnement à la base de cet album. Comment le regard vers l’Autre a-t-il influencé les grands compositeurs ? Comment leur authenticité artistique s’est-elle affirmée par un regard introspectif et extraverti ? La pianiste choisit ainsi d’enregistrer quatre compositeurs liés à son propre passé international : Ives, Bartok, Messiaen et Bach. 

Beaucoup considèrent Charles Ives comme le père du modernisme américain, son langage singulier et avant-gardiste explorant de nombreuses avenues de l’écriture du XXe siècle (polytonalité, polyrythmie, atonalité, utilisation des quarts de tons…) avant la plupart des compositeurs européens. Sa 1ère Sonate pour piano, présentée ici en tête de programme, a longtemps été éclipsée par sa 2ème Sonate « Concord », délaissée par la majorité des interprètes et des labels. Écrite entre 1902 et 1910, Ives oppose dans cette première sonate le ragtime, le blues et des hymnes religieux typiquement américains à son propre modernisme. On découvre un monde sonore inédit -des oasis de calme nocturne évoquent des images de films noirs tandis que les mondes populaires et contemporains fusionnent dans un magma de textures écorchées et de mélodies entêtantes. On retrouve cette même confrontation de mélodies folkloriques et de l’avant-garde dans les Improvisations sur des chansons paysannes hongroises op. 20 de Bartók. La complexité de ces 8 courtes pages arides et dissonantes préfigure même la musique de Boulez et Carter ! Stefanovich guide l’auditeur à travers les nombreux changements de tempi capricieux des Improvisations de Bartok et illumine agilement les différents chemins stylistiques qu’arpente la gigantesque Sonate d’Ives. En respectant scrupuleusement les nombreuses indications de l’Américain (on s’amuse à découvrir que Ives encercle des mélodies, des accords, ou des notes simples, demandant qu’elles ne soient qu’à peine audibles), on découvre les strates sonores de la partition. 

Le même vent de modernité souffle sur le Cantéyodjaya d’Olivier Messiaen, courte œuvre secondaire du maitre français où le sérialisme et des rythmes hindous s’entremêlent avec plus ou moins de succès. Après plus d’une heure de musique moderniste, le choix de terminer le récital avec l’Aria Variata alla maniera italiana de J.S. Bach est étrange. La transition de l’intransigeance du Messiaen à la grâce de l’Aria Variata est pour le moins… brusque mais elle révèle certaines des qualités indiscutables du jeu de Stefanovich : sa clarté et sa luminosité. 

Finalement, quoi de mieux pour clore un album que cette dernière ornementation cadentielle, sublimement évaporée, issue de la 10ème et ultime variation du BWV 989 ? 

Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP

 

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