Un destin fracassé

par
Goué

Emile GOUE
(1904 - 1946)
Symphonie n° 2 opus 39-Ballade sur un poème d'Emily Brontë opus 25
Orchestre Radio-Symphonique de Paris, dir.: Tony AUBIN, Marie BERONITA (sop.), Quatuor KRETTLY, Henriette ROGET, dir.: Louis de FROMENT
1949-1958-ADD-45'23-Textes de présentation en français et anglais-CIAR AZC 135

Tout comme moi sans doute, vous n'aurez guère rencontré le nom d'Emile Goué tout au long de votre expérience musicale. C'est pourquoi la courageuse initiative du Centre International Albert Roussel, ainsi que des éditions Bleu-Nuit, doit être saluée comme il se doit puisque le premier publie huit disques qui brossent un panorama fort complet du compositeur tandis les secondes, par l'intérimaire de Damien Top, proposent une biographie bienvenue. La destinée d'Emile Goué est tragique et un exemple de plus de ces nombreux grands talents brisés par la guerre. Né en 1904, il n'était pas destiné à la composition: des études de mathématiques et de philosophie, l'agrégation de physique et de chimie le conduisent tout naturellement au professorat qui restera son occupation première. Il rejoint ainsi les rangs des « grands compositeurs du dimanche » (ceci dit sans la moindre connotation péjorative, que du contraire) que furent Alexandre Borodine, Jean Cras, Charles Ives ou Franz Berwald, par exemple, pour lesquels l'exercice de leur génie musical devait composer avec une activité professionnelle. Pourtant, la musique est présente dès le début chez Emile Goué: dès 1924, il dirige une petite symphonie de son cru à la tête d'un orchestre composés d'étudiants. Il ne s'agit pourtant en rien d'un dilettante: sa formation musicale passera par l'enseignement de Charles Koechlin et d'Albert Roussel. C'est à partir de 1936 que ses plus belles oeuvres commencent à voir le jour, en particulier un fort beau Psaume XIII. Mobilisé en 1939, il rejoint, en juin 1940, les cohortes de prisonniers qui passeront la guerre en captivité. Relativement privilégié par son grade de lieutenant, il surmonte le désarroi moral qui l'assaille en donnant très vite, dans l'Oflag où il est interné, des cours de physique, d'histoire de la musique, d'harmonie, de contrepoint et de fugue. Petit à petit il se remet à la composition malgré les difficultés, à l'instar d'Olivier Messiaen dans des conditions similaires, et écrit alors une série de partitions qui peuvent être considérées comme ses chefs-d'oeuvre: le Psaume 123, un Prélude, Choral et fugue, un quintette avec piano, etc. Rapatrié en mai 1945 mais très affaibli, il succombe au sanatorium de Neufmoutiers-en-Brie en octobre 1946.
Le disque qui nous est présenté ici, outre le fait de nous faire découvrir deux pages de superbe facture, nous offre de plus de les entendre dans des enregistrements historiques (d'une très bonne qualité sonore) sous les baguettes de deux très grands défenseurs de la musique française, hélas trop oubliés aujourd'hui: Tony Aubin et Louis de Froment. La 2ème symphonie, dont l'originalité réside en partie dans le recours à un violon principal, oscille de ce fait entre la symphonie et le concerto et rappelle d'Indy et Chausson. L'écriture aristocratique, brillante, qui dévoile un orchestrateur hors-pair, n'a d'égal que le talent du compositeur à installer des climats contrastés et prenants. La Ballade sur un poème d'Emily Brontë propose une formation inhabituelle: soprano principale, quatuor vocal, quatuor à cordes (ce qui nous permet d'entendre le rare et merveilleux quatuor Krettly) et piano (où nous retrouvons la remarquable Henriette Roget). Page toute en nuances, elle rappelle cette fois Debussy. Un très beau disque pour aborder l'oeuvre d'un créateur attachant, certes pas un visionnaire et un original comme le fut Messiaen, mais très élégant et humain. Par ailleurs, peut-être aurait-il fini par suivre des voies plus modernes s'il n'avait été fauché si tôt. A découvrir.
Bernard Postiau

Son 8 - Livret 6 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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