Un hommage pianistique pour saluer la carrière de Pierrette Mari
Escalades sur un piano. Pierrette Mari (°1929) : Thème et Variations ; Escalades sur un piano ; Alpes et Alpilles ; Espace intemporel ; Visages polaires. Olivier Messiaen (1908-1992) : Catalogue d’oiseaux, extraits : Le Chocard des Alpes ; Le Traquet rieur. Jean Dubé, piano ; Jasmine Jardon, violoncelle. 2017 et 2024. Notice en français et en anglais. 72’ 48’’. CIAR Classics CC019.
Les mélomanes qui possèdent, dans leur bibliothèque musicale, les ouvrages consacrés par Pierrette Mari à Béla Bartók (Hachette, 1970), Henri Dutilleux (Hachette 1974 ; Zurfluh, 1988) ou Olivier Messiaen (Seghers, 1965) savent à quel point ces études, claires et pénétrantes, ont permis une meilleure connaissance de la vie et de l’œuvre de ces trois compositeurs-phares du XXe siècle. C’est elle qui a écrit le premier livre sur l’auteur du Catalogue d’oiseaux ; Harry Halbreich y fait référence à plusieurs reprises, de façon élogieuse, dans son monumental volume L’œuvre d’Olivier Messiaen (Fayard, 2008).
Mais Pierrette Mari est aussi compositrice. Elle a été l’élève de Messiaen au CNSM de Paris à partir de 1948, après une première formation au Conservatoire de Nice, cité dont elle est originaire. Fille du journaliste et auteur de chansons Dominique Jules Mari et de la cantatrice Henriette Corot, elle dut modifier l’orientation de sa carrière, à la suite d’un accident de poignet. Elle devint attachée de presse du Concours Long-Thibaud, enseigna à l’université Paris-Sorbonne, fut productrice à l’ORTF et s’adonna à la critique musicale. Grâce au label CIAR Classics, qui s’attache à des créateurs moins fréquentés, le présent album rend à la doyenne des créatrices niçoises un vibrant hommage, enrichi par une éclairante notice, signée par le musicologue Damien Top, dont nous nous inspirons.
Le premier opus pour piano de Pierrette Mari, dont le catalogue est riche de plus de deux cents numéros, avec un goût prononcé pour la musique vocale, est une Barcarolle, non reprise ici, qui date de 1953. Deux ans plus tard, Thème et Variations, qui s’ouvre par une phrase qui évoque le Grand Siècle, suivie par six variations et un final, est de facture classique, non sans une légère pointe d’atonalité dans l’Allegro vivace. En un peu moins de quatorze minutes, Pierrette Mari, âgée alors de 26 ans, propose un ensemble à la virtuosité variée, au sein duquel on découvre des échos ravéliens (dans le Largo), de l’émotion contrôlée, de la méditation ou des rythmes valeureux, ainsi que des contrastes de couleurs bien dessinées.
Passionnée de montagne, à laquelle elle s’est affrontée, admirative des exploits de Maurice Herzog sur l’Annapurna, Pierrette Mari écrit, entre 1955 et 1968, une série d’Escalades pour le piano. Elle y exalte plusieurs sites, dont l’Aiguille du Midi, en alternant les atmosphères, fantaisistes, dépouillées ou contemplatives, avec une belle force d’évocation dans l’Aiguille verte, page de défi consacrée au souvenir d’un autre alpiniste, Lionel Terray, victime d’une chute mortelle, ou dans Les grandes Jorasses, autre évocation d’un accident tragique qui advint au frère de Maurice Herzog, Hubert. Damien Top souligne avec raison que l’on trouve des traces de Stravinsky, Honegger ou Prokofiev dans cet univers pianistique aux effets souvent puissants et dramatiques. Alpes et Alpilles (1961) s’attarde encore à la montagne mais, cette fois, en Provence, dans un contexte plus intimement serein, avec présence d’un violoncelle comme partenaire.
Deux partitions sont plus récentes ; des citations tirées d’un recueil de poèmes inédit de Pierrette Mari en dessinent les contours. Le temps qui se fragmente en fusées d’allégresse/Le temps qui s’effrite en copeaux de bonheur définissent avec éloquence, comme les décrit si bien Damien Top, Espace intemporel (2008) et ses insolites évanescences, puis les Visages polaires (2014), qui s’assimilent à une fresque onirique, de courte durée, dans un climat poétique fragmenté. Chez la compositrice, les influences de Messiaen et de Dutilleux, qui fut un ami proche, sont en filigrane.
Toutes ces pages, en première gravure mondiale, sont rendues par le pianiste franco-canadien Jean Dubé (°1981), formé dans les mêmes conservatoires que Pierrette Mari, avec la puissance et l’éclat nuancé qu’elles réclament. Sa capacité narrative fait merveille dans les évocations des montagnes, auxquelles il confère leur nécessaire dimension. La présence du violoncelle dans Alpes et Alpilles est assurée par notre compatriote, la Verviétoise Jasmine Jardon, formée à l’IMEP de Namur.
En complément à ce portrait pianistique de Pierrette Mari, on trouve, sous les doigts poétiquement avisés de Jean Dubé, deux pages d’Olivier Messiaen, tirées du Catalogue d’oiseaux. L’éditeur a eu la bonne idée, pour chacune d’elles, de reproduire la présentation qu’a faite Pierrette Mari, dans son Olivier Messiaen de 1965, chez Seghers, du Chocard des Alpes, sur fond des glaciers de l’Oisans, et du Traquet rieur, au cap Béar, dans les Pyrénées-Orientales. On lira à quel point la compréhension de l’univers de Messiaen coule de source pour elle.
Un album à thésauriser, vu la rareté des disponibilités discographiques consacrées à Pierrette Mari, qui méritait bien cet hommage tardif, mais éloquent.
Son : 8 Notice : 10 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix