Un magnifique Fortunio à l’Opéra de Lausanne         

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Comme deuxième spectacle de sa première saison, Claude Cortese, le nouveau directeur de l’Opéra de Lausanne, décide de présenter l’un des ouvrages majeurs d’André Messager, Fortunio, en empruntant à l’Opéra-Comique la production que Denis Podalydès avait conçue en décembre 2009 en collaborant avec Eric Ruf pour les décors et Christian Lacroix pour les costumes.

Bien lui en a pris, tant le spectacle repris par Laurent Delvert n’a pas pris une ride avec cette scénographie extrêmement sobre restituant cette petite ville de garnison sous la neige où les militaires tuent le temps en jouant à la pétanque ! L’intrigue simpliste nous montrant  Jacqueline, l’épouse du notaire, qui entretient une liaison avec le capitaine Clavaroche sous la surveillance d’un chandelier, le clerc de notaire  Fortunio, est assez convenue.  L’on se prête à sourire en voyant les badauds acclamer le passage de la fanfare comme au deuxième acte de La Bohème ou en observant  les commis d’étude, en rang d’oignon, se jetant comme une patate chaude le bouquet de fleurs que le grand dadais de Fortunio  devra remettre à Dame Jacqueline. De la dernière cocasserie, l’idée de cacher l’amant  dans le tiroir du bas de l’armoire, alors que Maître André fait son entrée en tenue de chasseur avec fusil petit calibre ! Mais le point fort de la production est la caractérisation des protagonistes, ce qui fait dire à Denis Podalydès :  « Fortunio  n’est pas un personnage simple et pur. Il est, au contraire, profondément torturé, double, problématique, sans cesse tourmenté par une conscience aiguë, permanente de la difficulté intime de son être... Chaque personnage  résiste à sa caricature, refuse son stéréotype, chaque situation échappe à sa convention ». Il est vrai qu’ici chacun semble transfiguré au contact de ce chaste fol qui aspire à un amour absolu, à une vie authentique.

Le jeune ténor belge Pierre Derhet en est l’incarnation idéale par une ligne de chant irréprochable qui sait filer les aigus, même si le désarroi le plonge dans une profonde nostalgie. Pour autant, il ne sombre pas dans l’inertie du désenchanté, car il refuse d’endosser l’attitude conventionnelle de l’amoureux transi pour affirmer, au contraire, son droit au bonheur. Par la qualité de sa diction et le coloris cuivré du timbre, le baryton Christophe Gay ne lui cède en rien, en campant un Clavaroche matamore, sûr de parvenir à ses fins. Tout aussi remarquable, le Maître André de Marc Barrard qui n’a rien du barbon cocu, mais qui veut à tout prix défendre sa légitimité d’époux, même si son bon cœur pourrait le ridiculiser. L’objet de leurs feux, Jacqueline, personnifiée par Sandrine Buendia, est en deçà d’eux, car la nervosité d’une prise de rôle et des débuts sur la scène lausannoise lui confère d’abord une acidité de l’aigu qui s’estompe au fur et à mesure que l’action progresse. Et son indéniable présence assure ses moyens l’amenant à couvrir magistralement son émission dans sa scène de l’acte IV, « Je ne vois rien… Lorsque je n’étais qu’une enfant ». Le baryton Philippe-Nicolas Martin a le verbe haut pour incarner un Landry bon vivant accueillant à bras ouverts le parent de province, le Maître Subtil discret de Warren Kempf, se laissant impressionner par la faconde des lieutenants d’Azincourt (Jean Miannay) et de Verbois (Benoît Capt). Bien timide pour une confidente, la Madelon de Céline Soudain, tandis qu’Anouk  Molendijk et Geoffroy Buffière se chargent des seconds plans de Gertrude et Guillaume. 

Dans la fosse d’orchestre, le jeune chef lausannois Marc Leroy-Calatayud équilibre magnifiquement le rapport entre le plateau et l’ensemble Sinfonietta de Lausanne dont il tire une sonorité onctueuse faisant miroiter l’habile orchestration de Messager et enveloppant le Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé pour la première fois par le chef marocain Anass Ismat. 

Un magnifique spectacle applaudi chaleureusement par un public enthousiasmé !

Lausanne, Opéra, le 17 octobre 2024

Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez

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