Le violoncelle d’aujourd’hui au Brussels Cello Festival
Je découvre, après un petit-déjeuner au bruyant (mais c’est pour ça qu’on l’aime) café Belga, la quatrième édition du Brussels Cello Festival, organisé chaque année paire par la Belgium Cello Society depuis 2018 à l’initiative de son directeur artistique Han Bin Yoon, par son à-côté d’aujourd’hui, le concert, titré Soundscapes, dédié, à Flagey dimanche avant l’apéro, à cinq pièces contemporaines, pour violoncelle et par des violoncellistes.
Avec ses lunettes rondes enthousiastes, Pierre Fontenelle, né en Belgique, grandi en Amérique, habitué des sauts de frontières, introduit le concert, en anglais, d’une lecture Shakespearienne, pour entamer le prélude (de courts chapelets de trois notes pincées), sourdement séditieux, de Philia, pour l’écoute duquel j’éteins les yeux, laisse filer – d’abord trop rapides, puis ralenties – les pensées qui s’embrument, se perdent dans le brouillard de derrière les paupières, même quand le tempo saccade et l’instrument onctue -jusqu’à ce que le prélude devienne postlude et me ramène sur le siège de tissu vert du Studio 1, engourdi par l’ode, légère et gracieuse, tissée en six variations à la manière du poète lyrique grec Anacréon, dans laquelle Jean-Paul Dessy évoque le caractère inconditionnel des amitiés.
Silbo, la première, si réussie, des trois pièces pour violoncelle et piano que présente Andrea Casarrubios, d’origine espagnole, accompagnée par Stephanie Proot au clavier, raconte, avec une emphase déliée, le Silbo Gomero, cette langue sifflée de La Gomera, une des îles principales des Canaries, aux volcans escarpés, langue vestige -elle se pratiquait sous différentes formes dans les paysages montagneux du monde- d’une communication, aux nuances restreintes mais aux messages portés sur plusieurs kilomètres : au violoncelle les sifflements (le glissement hypnotique du pouce de la main gauche sur la corde !), au piano les paysages de sommets aux pieds marins – les rythmes se nourrissent, eux, des musiques traditionnelles de La Gomera. Idéaliste et méditative, Mensajes de Agua se pose comme une (courte) oasis aquatique (les formes de l’eau pure, gelée) avant 24 Mozas, pétillance virtuose basée sur le traditionnel Tío Babú, dont l’éloquence foisonnante me touche moins.
Trois violoncelles s’intallent sur scène, ceux d’Andrea Casarrubios et de Pierre Fontenelle, rejoints par celui du Coréen Taeguk Mun, lauréat du Concours de violoncelle Reine Elisabeth 2022, pour les deux mouvements de Maktub (toujours de Casarrubios), qui focalisent avec sensualité sur les formes (visuelles, sonores) de paysages éloignés de milliers de kilomètres : là où Mirage pense au désert, perturbant et féroce, Takao profile le mont japonais éponyme, aux floraisons automnales mélancoliques.
Personnage multi-facettes (violoncelliste, compositeur, peintre, photographe…), le colombien Santiago Cañón-Valence est aussi insatiable quant à ses sources d’inspiration : pour Ascenso hacia lo profundo, il dépasse le cadre classique pour prendre au rock progressif et au metal (le groupe suédois avant-gardiste Meshuggah) ou au rock indépendant (Sun Kill Moon, la formation de Mark Kozelek, ancrée à San Francisco) et en fait une pièce pour violoncelle seul aux reflets étonnants, originaux et nourrissants.
Cañón-Valence reste sur scène pour conclure le concert avec Pampeana n° 2 pour violoncelle et piano du compositeur argentin Alberto Ginastera, imagé et vivace, où le piano, d’abord concis (des déflagrations percutantes), se fait intrusif, puis énigmatique, le violoncelle portant alors les coups de pinceau d’un tableau qui rend hommage aux gauchos de la Pampa, ces cow-boys d’Amérique du Sud, gardiens des troupeaux de bœufs des prairies infinies, maîtres de l’abattage, de la préparation des cuirs et du dressage des chevaux.
Flagey, Bruxelles, le 17 novembre 2024
Bernard Vincken
Crédits photographiques : Sophie Zhai Photography