Richard Cœur de Lion : un passionnant voyage dans le temps

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Composée par l’un des musiciens préférés de la Reine Marie-Antoinette, André Ernest Modeste Grétry, sur un livret de Sedaine, la « comédie » Richard Coeur de Lion est, pour une fois, tout à fait en situation à Versailles. Absente des scènes lyriques contemporaines, elle connut un long triomphe et ses thèmes inspirèrent aussi bien Beethoven (Huit Variations pour piano en do majeur) que Tchaïkovski dans La Dame de Pique. D’une couleur « gothique » (Richard a été capturé par les Autrichiens à son retour des Croisades), le propos s’avère profondément humaniste : le souverain est libéré de la forteresse ennemie car il sait susciter l’amour de tous et utiliser sa sensibilité musicale pour reconnaître ses fidèles (l’histoire atteste des dons artistiques de Richard, beaucoup moins de ses vertus de bonté !). Les allusions champêtres, le ton épique ou galant donne une idée fraîche, presque naïve de cette société de l’Ancien Régime au bord de l’abîme. Quoique l’intrigue se situe au XIIe siècle, la mise en scène (Marshall Pynkoski) la « translocalise » au Siècle des Lumières. A première vue assez arbitraire, cette option présente des qualités tout à fait intéressantes.

A commencer par des costumes aussi seyants que ravissants (Camille Assaf) où le lilas, le ventre de puce, le velours feu, ou le bleu de Prusse se marient avec les toiles peintes originales représentant maisons de village, forteresse et verdures. Ensuite, la corrélation entre ce que l’on voit sur scène et ce que l’on sait des derniers feux monarchiques, en ces lieux mêmes, suscite une émotion très particulière. Grétry suggère en effet à merveille ce temps qu’il connut et qui, pour nous, n’est plus. Des couleurs harmoniques très particulières, des lignes mélodiques au charme gracieux revivent gaiement. Le compositeur recourt à une instrumentation bien caractérisée autant qu’à une inspiration mélodique élégante, spontanée et fort habile. Ainsi de la romance « Une fièvre brûlante » (Acte II) qui parcourt tout le tissus musical réapparaissant à neuf reprises, annonçant le principe du Leitmotiv. La création en 1784 à la Comédie Italienne avec La Dugazon dans le rôle de Laurette (Dugazon deviendra le nom générique d’un type vocal de soprano) sera suivie de trois versions différentes dont le programme de Versailles ne nous dit rien. L’Opéra royal, le Centre de Musique baroque et le Concert Spirituel d’Hervé Niquet, associés au Centre culturel canadien et aux mécènes de l’ADOR, relèvent ici avec succès le pari de produire cet opéra sur place. Si la direction musicale manque de poésie et de légèreté, elle soutient efficacement des chanteurs qui se révèlent excellents comédiens grâce à une direction scénique vivante et ingénieuse. L’acoustique un peu terne ne sert pas, dans son ensemble, la projection vocale. Néanmoins, le jeune ténor Rémy Mathieu s’empare avec autant de brio que de sûreté du rôle de Blondel, le fidèle compagnon du roi ; son « Ô Richard, Ô mon Roi » chanté sur l’avant-scène l’impose d’emblée. Reinoud Van Mechelen campe un Roi Richard digne et émouvant (« Si l’Univers entier m’oublie »). Le jeu toujours juste et la maîtrise vocale de Marie Perbost donnent beaucoup d’éclat au double personnage d’Antonio et de La Comtesse Marguerite. Laurette est interprétée avec goût par Melody Louledjian tandis que Geoffroy Buffière (Sir Williams) tonne avec autorité en Gouverneur de prison. Jean-Gabriel Saint Martin incarne tour à tour Urbain, Florestan et Mathurin avec beaucoup de prestance. Des chorégraphies enchanteresses (Jeannette Lajeunesse Zingg et de formidables jeunes danseurs) viennent renforcer de leur vocabulaire romantique la sensation de décalage.

Une exploration temporelle d’un véritable intérêt musical, psychologique et historique dont le charme simple, quasi « exotique », laisse une sensation douce-amère.

Bénédicte Palaux Simonnet

Versailles, Opéra Royal, le 11 octobre 2019

Crédits photographiques :  Adami 2017

 

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