Un Prokofiev sérieux mais grandiose

par

Serguei Prokofiev (1891-1953)
Symphonie n°5 op. 100 - Suite scythe op.20
Orchestre Philarmonique de Bergen, dir. Andrew Litton
2015 – DDD – 67'00'' – Livret en anglais, allemand, français – BIS-2124

Chostakovitch, dans ses Mémoires, raconte l'anecdote suivante. Le 16 janvier 1916, Glazounov était aux premiers rangs pour assister à la création de la Suite scythe de Prokofiev, au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Quelques instants après le début de l’œuvre, le respectable professeur se leva et quitta la salle sans dire un mot : il avait tout simplement eu peur d'endommager ses tympans à l'écoute d'une musique si bruyante ! Prokofiev fut enchanté par cette réaction, lui qui se flattait de créer un scandale. Rétrospectivement, on peut dire que la Suite scythe avait tout pour choquer, avec son aspect « bête et méchant » sensé évoquer la sauvagerie d'un peuple barbare. L'orchestration de l’œuvre est en effet tellement riche qu'il est extrêmement difficile de l'interpréter sans tomber dans la lourdeur, et, encore aujourd'hui, rares sont les orchestres qui osent s'attaquer à cet ovni sans équivalent de la littérature musicale. Le Philharmonique de Bergen en offre une version maîtrisée aux tempi relativement lents. Les plans sonores sont bien définis, et la texture orchestrale, jamais pâteuse. Le chef américain Andrew Litton obtient des cordes un son très brillant, mais qui malheureusement manque de mordant dans l'attaque, ce qui a tendance à aplanir les pointes d'ironie cinglante dont Prokofiev a le secret. En revanche, la précision rythmique est bien au rendez-vous. En seconde partie du disque, la cinquième symphonie, écrite au cours d'une autre guerre – elle fut créée en 1945 – fait preuve d'un tout autre caractère que la Suite scythe. Son auteur la décrivait comme « un hommage à l'humanité heureuse ; sa force, sa générosité et la pureté de son âme », pas moins ! Cette nouvelle version est convenablement majestueuse, parfois entraînante aussi. Un peu plus d'impertinence n'aurait pas fait de mal, mais le caractère est bien là : le Philharmonique de Bergen, avec sa palette variée, fait honneur à la riche orchestration de Prokofiev.
Quentin Mourier

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 8

 

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