Un week-end luxembourgeois sous le signe de la musicalité

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Au nord-est du Luxembourg, la petite ville d’Echternach, à quelques centaines de mètres de la frontière allemande, abrite une salle polyvalente d’une qualité remarquable : le Trifolion. Lieu d’événements culturels à la programmation éclectique, il se veut avant tout un espace de mise en valeur des artistes luxembourgeois. Tout au long de l’année, plusieurs week-ends y sont consacrés à différents thématiques : EchterLive pour les musiques actuelles, Echter’World pour les musiques du monde, Echter’Jazz pour le jazz, et enfin Echter’Classic, dédié à la musique classique. Ce dernier s’est tenu les 10 et 11 octobre derniers, articulé en deux volets : les grands concerts du soir au Trifolion et une série de show cases de jeunes musiciens basés au Luxembourg, donnés dans la Salle des Glaces du Lycée Classique d’Echternach.

Les grands concerts du soir

La première soirée a réuni le vibraphoniste Pascal Schumacher et la pianiste Danae Dörken dans un programme intitulé Glass Two, où s’entremêlent les musiques de Philip Glass et de Schumacher lui-même. L’alliance du vibraphone cristallin et du piano plus dense crée un dialogue sonore fascinant : la résonance aérienne de l’un se fond dans la profondeur de l’autre. Leur interprétation, tantôt contemplative dans la répétition hypnotique des motifs, tantôt vive et contrastée par un jeu de nuances sonore très maîtrisé, capte littéralement le public. Danae Dörken, pianiste germano-grecque au tempérament lumineux, impressionne par son énergie et son sens du rythme, tandis que le Luxembourgeois Pascal Schumacher séduit par sa virtuosité et son imagination sonore. Les lumières mouvantes, aux teintes changeantes, contribuent à l’atmosphère méditative et immersive de ce concert exigeant et inspirant, où les musiciens entraînent le public dans une bulle où le temps semble suspendu.

La deuxième soirée fut tout aussi marquante, réunissant le Quatuor de Leipzig et le pianiste Christian Zacharias. En première partie, le Quatuor interprète Willkommen und Abschied de Niels Gade et le Quatuor à cordes n° 2en la mineur op. 51-2 de Brahms. Forts de près de quarante ans de carrière, les quartettistes témoignent d’une cohésion exemplaire : leur jeu respire, s’ajuste, s’écoute. Leur Brahms se déploie avec une tendresse constante, une douceur de ton qui traverse l’œuvre entière comme un fil de soie. Dans la seconde partie, Christian Zacharias rejoint l’ensemble pour le Quintette avec piano op. 44 de Schumann. L’interprétation, à la fois juvénile, vigoureuse et éclatante, conserve toutefois dans le mouvement lent une profondeur presque métaphysique. Le final, tourbillonnant de vitalité, couronne le concert dans un élan jubilatoire — et l’on quitte la salle le cœur léger, nourri de vivacité.

Les show cases de jeunes talents

Parmi les quatre show cases proposés — des concerts d’environ une heure chacun —, deux prestations se sont particulièrement remarquées : celles du clarinettiste Arthur Stockel et du violoncelliste Cyprien Keiser.

Le Français Arthur Stockel, clarinette solo de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, a offert une lecture d’une rare élégance de la Sonate n° 2 en mi bémol majeur op. 120 de Brahms. Son phrasé, d’une grande souplesse, met en valeur la ligne mélodique avec naturel, tandis que son timbre rond et chaleureux s’impose sans jamais forcer. Avec la complicité fine du pianiste Manuel Vieillard (du Geister Duo), le dialogue s’épanouit en un équilibre idéal entre densité et fluidité.

Le violoncelliste Cyprien Keiser, formé au CNSMD de Paris auprès de Jérôme Pernoo, impressionne par la largeur de son son et par sa musicalité instinctive. Dans un programme varié — le deuxième mouvement de la Sonate de Franck, l’Intermezzo de la Sonate F.A.E. de Schumann, le premier mouvement de la Sonate pour violoncelle de Mendelssohn et la Danse du Diable vert de Cassadó —, il allie habilement virtuosité et lyrisme, révélant un tempérament prometteur. On regrette seulement que sa pianiste ne partage pas toujours sa vision musicale, ce qui provoque quelques déséquilibres à des moments clés.

Récitals et découvertes

Entre ces deux volets du festival, la violoniste Sandrine Cantoreggi et le pianiste Joseph Moog ont proposé, le samedi 11 octobre en fin de l’après-midi, un récital consacré à deux sonates de la fin du XIXe siècle de tradition germanique : celles de Walter Rabl et de Richard Strauss. Si le choix du programme séduit par son originalité, l’interprétation laisse une impression assez mitigée. Les deux artistes semblaient encore en phase d’appropriation de ces œuvres — notamment la sonate de Rabl —, comme en témoignaient leurs regards souvent fixés sur la partition. La complicité musicale, encore en gestation, demande à se renforcer.

Dans les show cases, n a également pu entendre la soprano Daphné Souvatzi avec le François Aria Quartet dans un programme mêlant des chants traditionnels de Chypre et de la mer Noire à des pages de Rameau et Monteverdi, ainsi que le violoniste Matis Grisó, accompagné de musiciens de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg, dans des œuvres de Tchaïkovski et Piatigorsky. Autant de jeunes artistes que l’on suivra avec intérêt à mesure qu’ils gagneront en maturité et en assurance.

Echter’Classic du Luxembourg est un rendez-vous où se croisent jeunesse et expérience, curiosité et exigence, pour le plus grand bonheur d’un public attentif et passionné.

Concerts des 10 et 11 octobre, Grande salle de Trifolion et Salle des Glaces du Lycée Classique d’Echternach.

Victoria Okada

Crédit photographique : Kulture lx - Arts Council Luxembourg

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