Une Aida pour notre époque ?

par

0126_JOKERGiuseppe Verdi (1813-1901)
Aida
A. Harteros (Aida), J. Kaufmann (Radamès), E. Semenchuk (Amneris), L. Tézier (Amonasro), E. Schrott (Ramfis), M. Spotti (le Roi), P. Fanale (un messager), E. Buratto (la prêtresse), Choeurs et orchestre de l'Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dir.: Antonio PAPPANO
2015- DDD - 39'56'', 40'41'' et 64' 59''- chanté en italien - Textes de présentation en anglais, allemand et français - 3 CD Warner Classics 0825646106639

"Une Aida pour notre époque" assène la notice dès les premières lignes. Et de poursuivre, un peu fanfaronne: " Tout a été mis en oeuvre pour parvenir à un résultat favorable." Qu'en est-il ? Déjà, en mains, doux au toucher, l'objet est beau, écrin de luxe or et noir. La distribution réunie par Antonio Pappano frise l'idéal, et son orchestre est le meilleur d'Italie. Tout est en effet réuni pour une production parfaite, et l'émerveillement grandit tout au long de l'audition.  Il commence par un Celeste Aida d'exception. Ecoutez comment Kaufmann diminue le son après le si bémol final : cela tient du miracle. Le premier acte est agité, comme la direction de Pappano. L'Amneris royale, dominante et très slave d'Ekaterina Semenchuk y bouscule un Ramfis de belle ampleur, un Roi digne et sonore, une Aida dramatique, et un messager petit format. Tout se précipite à l'acte II. Le duo Amneris - Aida forme un premier sommet dramatique (l'aveu d'Aida est sublime) qui en annoncera bien d'autres. On attend évidemment la scène du triomphe de Radamès, qui clôt l'acte. Pappano opte pour une discrétion de bon aloi et gomme tout clinquant. Les trompettes sont là, mais délicates : elles accompagnent le défilé, elles ne le précèdent pas. Le ballet permet de remarquer l'excellence de la phalange romaine, la précision de ses cordes, la pertinence des vents. Ludovic Tézier incarne un Amonasro sans trop de puissance, au beau legato (Mai tu Re, tu signore possente). Les deux derniers actes permettent d'encore mieux cibler le succès de cette version. Dans l'air du Nil, Anja Harteros, plus encore qu'une leçon de chant, donne un cours vivant d'engagement lyrique qui va droit au coeur, engagement qu'elle réitère dans ses deux duos successifs, avec son père puis avec son amant. Celui-ci  frappe d'admiration - encore et toujours  -  par l'art avec lequel il allie élan guerrier et pulsions amoureuses, intelligence et sensibilité. Son Fuggire ! mêle honneur et passion en un mot, en une exclamation : du grand art. Même tension dans le duo de la scène du jugement, dans lequel Semenchuk démontre sa tendresse, puis son désespoir : cet ultime affrontement est un autre grand moment de cette interprétation. Quant à l'ultime duo des amants dans la tombe, très ressenti, la parfaite union des voix d'Harteros et de Kaufmann comblera les exigences les plus hautes (O terra, addio). Est-ce à dire que cette version s'inscrit d'emblée au sommet de la discographie ? Non, la splendeur d'une version ne ternit pas celle des autres (Solti, Muti). Mais, par toutes les qualités citées, elle justifie le slogan de Warner : une Aida pour notre époque, et de notre époque !
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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