Riccardo Chailly extirpe ‘Giovanna d’Arco’ de la laideur

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Une mourante dans une chambre à coucher bourgeoisiale sous la surveillance d’un médecin et de deux infirmières : est-ce, selon les dires de Patrice Caurier et Moshe Leiser, l’une des patientes du Dr Jean-Marie Charcot, neurologue à la Salpêtrière, ou Margherita Barezzi rendant l’âme devant son père ? L’action ne serait donc qu’un rêve, avec des parois-écrans développant la narration. Tant le peuple qui envahit la scène par les portes latérales que les protagonistes revêtent des costumes médiévaux (conçus par Agostino Cavalca) ; et Charles VII, bardé d’or jusqu’à la chevelure, paraît sur un gigantesque cheval à roulette. Sans consistance théâtrale et surtout sans images fortes se déroulent les scènes, en frisant même le ridicule au dernier tableau : alors que Jeanne livre un dernier combat, pourquoi la trouve-t-on prostrée dans le dos de son père ? Est-ce le songe qui lui fait revoir le monarque et ses sujets, déplorant sa fin tragique ? Ce que l’on en retient en tout cas est que la production ne s’inscrira pas dans les annales d’un théâtre qui assura la création du 15 février 1845 et qui ne reprit l’ouvrage que deux fois en vingt ans.
A la tête des Chœurs et de l’Orchestre de la Scala, absolument remarquables, Riccardo Chailly joue ouvertement la carte du Verdi ‘prima maniera’, en ne gommant aucune des boursouflures ‘Risorgimento’, tout en exploitant la générosité de la veine mélodique.
Sur scène, s’impose le Giacomo de Carlos Alvarez qui a la stature et les grands moyens du véritable baryton verdien, image du vieillard déchiré entre son amour paternel et sa conscience patriotique. Le ténor Francesco Meli cultive délibérément l’éclat du timbre pour dessiner un Charles VII voulant affermir sa légitimité, quand Dmitry Beloselskiy et Michele Mauro font ce qu’ils peuvent des personnages sacrifiés de Talbot et de Delil. Reste le cas d’Anna Netrebko qui s’investit totalement dans la composition de Jeanne d’Arc : à observer son impavidité notoire et son émission forcée, en possède-t-elle l’expression dramatique ? Il faut parvenir à la scène finale pour voir son phrasé s’iriser de quelques ‘pianissimi’ filés, appréciés au plus haut point après deux heures de sons outrageusement ouverts. En résumé, une ouverture de saison bien maussade sur la première scène d’Italie.
Paul-André Demierre
Milan, La Scala, le 15 décembre 2015

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