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0126_JOKERBela BARTOK (1881-1945)
Le Château de Barbe-Bleue
Dietrich FISCHER-DIESKAU (Barbe-Bleue), Irmgard SEEFRIED (Judith), Orchestre du Festival de Lucerne, dir.: Rafael KUBELIK
1962/2014-ADD-Live-60'41-Textes de présentation en anglais, allemand et français-Audite 95.626

Quelle aubaine! Les témoignages de Rafael Kubelik en tant que chef de théâtre ne sont pas si nombreux même s'ils demeurent variés: Rigoletto, Mathis der Maler, Palestrina, Oberon, Othello, Boris, Parsifal, Die Meistersinger, Les Troyens... Il serait dès lors dommage de ne pas fêter comme il convient l'arrivée de ce Château de Barbe-Bleue inédit dans la discographie du chef tchèque et venu de nulle part. Ou plutôt si: du festival de Lucerne, chaudron de si nombreuses soirées mémorables. Dès les premières mesures (le prologue parlé est omis), le ton est donné: l'efficacité légendaire de Kubelik fonctionne à plein, le spectateur est pris à la gorge par une interprétation habitée comme jamais, sobre mais intense, lyrique mais maîtrisée par un main de fer. La tension est telle qu'elle est parfois proche de l'insoutenable, à l'instar des deux dernières scènes, fabuleuses de dramatisme retenu et qui s'achèvent presque dans le silence, comme épuisées de leur propre feu. Les deux protagonistes sont pour beaucoup dans la dramatisation extrême mais toujours légitime et de toute façon en permanence contenue de cette version qui, d'emblée, se hisse aux sommets de la discographie. Nous sommes en 1962, Irmgard Seefried a déjà ses meilleures années derrière elle, la voix est abîmée mais encore bien chantante. Elle révèle néanmoins, désormais, cette cassure qui deviendra comme la « marque de fabrique » des interprétations des dernières années. Cette particularité nous donne une voix un peu rauque qui trouble et convient à merveille dans le rôle si difficile de Judith, cette femme aux sentiments contradictoires, chez qui confiance et obsession de savoir s'opposent sans répit. C'est la plus bouleversante incarnation du rôle qu'il m'ait été donné d'entendre, ni plus ni moins. A ses côtés, un Fischer-Dieskau tour à tour glacial, compatissant, ému, inquiet et inquiétant apporte toute son intelligence – dans la caractérisation, dans la voix – au rôle psychologiquement si complexe du Barbe-Bleue de Balazs. Dans ses deux versions officielles, avec Fricsay dans les années 50 et Sawallisch en 1979, le baryton allemand avait déjà pu montrer sa compréhension profonde du personnage, en particulier dans la version la plus récente où il donnait la réplique à son épouse à la ville, Julia Varady. Il va plus loin encore, me semble-t-il, dans ce témoignage plus ancien: la captation en public explique sans doute ce surcroît d'immédiateté, de sincérité, de vérité. Un très grand moment de musique en tout cas. Petite remarque: comme d'habitude, chez Audite, le livret est très soigneusement réalisé. Cependant, une coquille de taille a cette fois pris ses quartiers au verso du boîtier et en quatrième de couverture du livret: les dates de naissance et de décès de Bartok sont 1881-1945 et non 1841-1904, qui sont celles de... Dvorak.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 6 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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